Un cas d’hydromètre compliqué d’une torsion utérine chez une lapine
Sommaire
- Nous présentons ici le cas d’une lapine présentée en consultation pour abattement, anorexie et distension abdominale.
Le diagnostic est celui d’un hydromètre associé à une torsion utérine, affections peu décrites, et traitées ici chirurgicalement avec succès. - Choupinette est une lapine non stérilisée de 6 ans présentée en consultation pour un abattement et une anorexie évoluant depuis 24 heures.
Auteurs : Drs Sophie Romain, Lucas Flenghi, Christophe Bulliot et Céline Levrier 29-05-2017
Service NAC – Centre Hospitalier Vétérinaire des Cordeliers,
29 avenue du Maréchal Joffre, 77100 Meaux.
E-mail : nac@chvcordeliers.com
Un cas d’hydromètre compliqué d’une torsion utérine chez une lapine
Anamnèse et historique
Les conditions de vie de la lapine sont correctes. Elle n’est pas vaccinée, n’a aucun antécédent pathologique et n’a pas côtoyé d’autres animaux.
Examen clinique
En consultation, Choupinette reste prostrée mais reste cependant vive durant son examen. L’examen rapproché met en évidence une masse abdominale ferme et régulière située caudalement à l’estomac et modérément douloureuse à la palpation. Elle s’étend sur approximativement une quinzaine de centimètres. Le reste de l’examen clinique et l’examen de la cavité buccale sont sans anomalie. A ce stade, compte tenu de la taille et de la localisation de la masse, une atteinte utérine est suspectée, sans qu’une atteinte digestive ou une organomégalie (rate, rein) ne puissent complètement être écartées.
Examens complémentaires
Des radiographies du corps entier de face et de profil sont réalisées (Figures 1 et 2). Les clichés mettent en évidence une masse de densité tissulaire ou liquidienne repoussant les anses intestinales à gauche et ne semblant pas être en continuité avec l’estomac. Aucune métastase pulmonaire radiologiquement visible d’une éventuelle tumeur n’est repérée.
Afin de préciser l’origine de la masse, une échographie abdominale est ensuite réalisée. Elle met en évidence une dilatation liquidienne majeure d’un organe abdominal (Figure 3). Aucune continuité n’est observable, que ce soit avec le tube digestif, l’appareil urinaire ou l’appareil génital. Néanmoins, l’absence de péristaltisme et la localisation, caudale au rein gauche, laisse supposer qu’il s’agit d’une corne utérine. Compte tenu du volume important de la masse, l’entièreté de l’abdomen n’a pu être examinée.
À ce stade, les hypothèses diagnostiques les plus probables sont une tumeur utérine, une métrite et un hydromètre.
Une laparotomie exploratrice à visée diagnostique, et si possible thérapeutique, est alors entreprise sous anesthésie générale. La prémédication consiste en une injection sous-cutanée de meloxicam (0.5mg/kg) et de morphine (1.5mg/kg) puis d’une injection intramusculaire de midazolam (0.5mg/kg). Une antibiothérapie préopératoire est ajoutée au protocole (sulfamide triméthoprime à 30mg/kg par voie sous-cutanée). L’induction est faite dans une boîte à l’aide d’isoflurane et d’oxygène. Un dispositif supra-glottique (V-gelND) permet le maintien de l’anesthésie gazeuse au cours de la procédure. Une injection sous-cutanée de xylocaïne diluée à 50% dans du NaCl 0,9% au site d’incision assure l’anesthésie locale avant incision cutanée.
Une laparotomie médiane est réalisée. Elle révèle la présence d’un important hydromètre localisé à la corne utérine gauche avec une torsion utérine dans le sens horaire sur trois tours au niveau du col utérin (Figure 4).
Figure 1
Radiographie abdominale de profil
Figure 2
Radiographie du corps entier selon une incidence ventro-dorsale.
Figure 3
Échographie abdominale mettant en évidence une dilatation liquidienne majeure d’un organe.
Figure 4
Photographie peropératoire de la torsion utérine sur hydromètre de la corne gauche et observation de la torsion utérine.
Figure 5
Photographie de la lapine et de l'utérus après ovariohystérectomie.
Traitement
Une ovario-hystérectomie est réalisée selon les modalités classiques après remise en place des structures : ligature puis résection des pédicules ovariens, ligatures indépendantes des vaisseaux utérins et du vagin puis résection de ces derniers, fermeture de la cavité abdominale en 3 plans (musculaire, sous-cutané et cutané).
Le poids total de l’utérus après résection est de 370g ce qui représente 19% du poids de la lapine avant chirurgie (Figure 5). Une ulcération de la paroi utérine sans rupture de celle-ci est constatée à différents endroits.
Le réveil est effectué dans l’enceinte chauffée d’une couveuse pédiatrique afin de palier au risque d’hypothermie.
La lapine reste hospitalisée 3 jours. Elle est rendue à ses propriétaires dès le retour d’un appétit spontané. Les traitements post-opératoires incluent une fluidothérapie, des gavages et un morphinique (buprénorphine 0.03mg/kg deux fois par jour par voie sous-cutanée) durant l’hospitalisation, un anti-inflammatoire non stéroïdien (meloxicam 0.5 mg/kg per os deux fois par jour, une semaine), une antibiothérapie (sulfamide triméthoprime 30mg/kg par voie sous-cutanée deux fois par jour, 10 jours) et l’administration d’un prokinétique (métoclopramide 0.5 mg/kg par voie sous-cutanée trois fois par jour, 6 jours).
Suivi post-opératoire
Au contrôle 15 jours après l’opération, la lapine est en bon état général et présente un bon appétit.
La palpation abdominale est par ailleurs souple et non douloureuse.
Discussion
L’hydromètre est l’accumulation d’un liquide aseptique dans l’utérus. Il s’agit de la troisième pathologie de l’utérus la plus fréquente chez la lapine (après l’adénocarcinome et l’hyperplasie de l’endomètre). Elle ne représenterait cependant qu’environ 8,5% des pathologies utérines (Fuchs-Baumgartinger et al., 2009), touchant des lapines dont l’âge moyen est de 4 ans (Saito et al., 2002). Les signes cliniques incluent généralement une distension abdominale avec un utérus rempli de liquide détectable à la palpation, parfois un signe du flot, de l’anorexie associée à une perte de poids et une augmentation de la fréquence respiratoire par compression des viscères sur le diaphragme (Klaphake et Paul-murphy, 2012). Une anémie est aussi parfois constatée. À la ponction, le liquide est translucide, de faible densité et pauvre en cellules et en protéines (Tissier et Linsart, 2012).
La torsion utérine est quant à elle peu décrite chez la lapine et généralement associée à la gestation, l’hydromètre ou l’endométrite, bien que la cause soit difficile à déterminer (Sebesteny, 1972 ; Klaphake et Paul-murphy, 2012). La torsion utérine pourrait bien survenir secondairement à ces états, comme le suggèrent Na et Choi dans leur publication concernant le cas d’une lapine qui présentait un hydromètre de la corne utérine gauche ayant évolué vers une torsion utérine et une métrite de la corne droite (Na et Choi, 2014).
En l’absence de traitement, on observe une mortalité de 50% des cas d’hydromètres dans les 3 mois suivant le diagnostic (Saito et al., 2002). Néanmoins, les cas décrits pour lesquels un traitement a été entrepris sont peu nombreux. En effet, en 1989, Morrell décrit 4 cas d’hydromètre chez des lapines de laboratoire : trois d’entre elles ont été euthanasiées sans tentative de traitement tandis que l’une d’entre elles a subi une abdominocentèse et a reçu des diurétiques. Malgré un soulagement temporaire, l’animal a finalement été euthanasié à son tour (Morrell, 1989).
Hobbs et Parker ont quant à eux décrit un cas d’hydromètre associé à une torsion utérine sur une lapine de 2 ans l’année suivante (Hobbs et Parker, 1990) tandis qu’un cas d’hydromètre a été décrit sur une lapine de 3 ans par l’équipe de Bray en 1991 (Bray et al., 1991). Dans les deux cas, l’euthanasie a été décidée.
En l’absence d’efficacité du traitement médical, la chirurgie, et plus particulièrement l’ovario-hystérectomie, est aujourd’hui le traitement de choix. Notre cas présentant en plus une torsion utérine, la chirurgie précoce était la seule option envisageable. Il est probable qu’une torsion utérine puisse entraîner des nécroses par compression vasculaire voire une rupture d’organe.
Bien qu’il s’agisse d’une technique réalisée en convenance, l’ovario-hystérectomie reste néanmoins invasive et non dénuée de risque, d’autant plus chez un animal dont l’état général est altéré. Une ovario-hystérectomie a été tentée sur une lapine de 6 ans présentant un hydromètre en 2008 mais l’animal a fait un arrêt cardio-respiratoire au cours de l’anesthésie et les mesures de réanimation se sont avérées vaines (Lang et al., 2008). Il convient donc de rappeler l’importance que représente la maîtrise de l’anesthésie dans ce type de procédure, notamment dans un contexte de compression du diaphragme par les viscères, gênant ainsi la respiration. Il est par exemple recommandé d’incliner le corps du lapin lorsqu’il est placé en décubitus dorsal en relevant légèrement le thorax afin que le poids des viscères et notamment de l’hydromètre ne compriment pas le diaphragme.
Un cas décrit d’ovario-hystérectomie chez une lapine de compagnie présentant un hydromètre s’est soldé par un succès en 2012 mais contrairement à notre cas, il n’était pas compliqué d’une torsion utérine mais d’ulcérations mammaires. Plus de 8 mois plus tard, aucune récidive n’a été observée (Tissier et Linsart, 2012).
Les hydromètres et les torsions utérines sont donc peu fréquemment rencontrés et assez peu décrits dans la littérature. Jusqu’à présent, peu de traitements ont été entrepris et la plupart se sont soldés par un échec. A notre connaissance, nous décrivons ici le premier cas d’hydromètre associé à une torsion utérine traité avec succès par une ovario-hystérectomie chez une lapine de compagnie. Cette technique, bien qu’à risque, reste le traitement de choix de cette affection, et des affections utérines en général.
Bibliographie1. Bray MV, Gartner DJ, Brownstein DG, Moody KD. Hydrometra in a New Zealand White Rabbit. Lab Anim Sci 1991 ; 41(6) : 628-629. |