Adénocarcinome pulmonaire chez une jeune chatte
Sommaire
- La pathologie pulmonaire du chat est riche et complexe. Nous présentons ici le cas d’une jeune chatte de 3 ans présentée pour des difficultés respiratoires aiguës. Nous décrivons en détail les examens complémentaires qui ont permis d’aboutir au diagnostic d’adénocarcinome trabéculaire, une affection rare chez un animal de cet âge.
Auteurs : Drs. T. Baerlin et E. Bomassi 19-11-2018
Centre Hospitalier Vétérinaire des Cordeliers, 29-35 avenue du Maréchal Joffre, 77100 Meaux.
E-mail : ebomassi@chvcordeliers.com
Cet article a été publié dans : L’Essentiel (2018) 506 : p 19-22
Adénocarcinome pulmonaire chez une jeune chatte
Une chatte non stérilisée âgée de 3 ans est présentée pour difficultés respiratoires d’apparition aiguë.
L’animal a été adopté 1 mois auparavant et n’a pas accès à l’extérieur.
Un SNAP test FIV/FeLV a été réalisé et est négatif.
Examen clinique
À l’inspection, il est remarqué une dyspnée restrictive (fréquence respiratoire de 64 respirations par minute (rpm)).
Le score corporel est évalué à 2/5. Les muqueuses sont roses et le temps de recoloration capillaire inférieur à 2 secondes. La palpation montre un pouls artériel fémoral modérément frappé mais synchrone avec les battements cardiaques ainsi qu’un choc précordial normal.
La température rectale est de 38,9 °C. L’auscultation révèle une atténuation des bruits cardiaques, une tachycardie régulière (fréquence cardiaque > 200 battements par minute (bpm)) sans souffle audible ainsi qu’une augmentation des bruits respiratoires. Le reste de l’examen clinique est normal.
Bilan de l’anamnèse et de l’examen clinique
Il s’agit d’une chatte jeune adulte présentée pour une dyspnée aiguë. L’examen clinique renseigne une dyspnée restrictive, une tachycardie, une atténuation des bruits cardiaques et une discrète hyperthermie.
Hypothèses diagnostiques
L’association d’une dyspnée restrictive et d’une atténuation des bruits cardiaques évoque en premier lieu un épanchement pleural. Une masse médiastinale de grande taille ou une hernie diaphragmatique ou péritonéo-péricardique sont également évoquées.
En raison de la tachycardie, un épanchement pleural cardiogénique est privilégié mais une autre cause (infectieuse par exemple, particulièrement en raison de la discrète hyperthermie) ne peut être exclue 1.
Examens complémentaires
Un examen radiographique thoracique est réalisé (Fig. 1a et 1b) : il montre la présence d’une dilatation modérée des artères pulmonaires plus accentuée dans les lobes crânial droit et caudal gauche ; la silhouette cardiaque est élargie avec un vertebral heart size (VHS) = 9,8 (VU : 7,5 ± 0 3) 2 ; un épanchement pleural modéré associé à un arrondissement des bords pulmonaires responsable d’une opacité interstitielle modérée est mis en évidence. Il est observé une hépatomégalie modérée.
L’ensemble est compatible avec une insuffisance cardiaque responsable d’un épanchement pleural chronique, un arrondissement des bords pulmonaires et secondairement une hépatomégalie suite à la congestion veineuse.
L’examen échographique abdominal est normal.
L’examen échocardiographique transthoracique montre la présence d’une dilatation biatriale importante sans hypertrophie ou dilatation des ventricules.
Le mode Doppler pulsé révèle une diminution du temps de relaxation isovolumique, un rapport E/A mitral égal à 2,8, compatibles avec un profil restrictif.
L’examen biochimique sanguin, l’ionogramme et la numération et formule sanguines montrent
- une leucocytose (26,52 x 109/l ; VU : 2,87 – 17,02 x 109/l ) neutrophilique (20,05 x 109/l ;VU : 1,48 – 10,29 x 109/l),
- une anémie régénérative (Hb = 6,4 g/l (VU : 9,8 – 16,2 g/l) ; Htc = 18,3 % (VU : 30,3 – 52,3 %) ; réticulocytes = 100,5 K/µl (VU : 3,0 – 50,0 K/µl)),
- une protéinémie dans les limites hautes (84 g/l ; VU : 57 – 89 g/l) et une hyperglobulinémie (62 g/l ; VU : 28 – 51 g/l) avec un rapport albumine/globuline égal à 0,4.
La thoracocentèse diagnostique révèle un exsudat sérohémorragique (densité par réfractométrie : 1,032 ; taux de protéines=54g/l).
L’examen cytologique du liquide d’épanchement montre la présence de nombreux polymorphonucléaires neutrophiles et d’hématies sans germe intracellulaire ni cellule tumorale suspecte visibles : soit un exsudat.
L’examen bactériologique permet l’identification de Bordetella bronchiseptica sensible à l’association amoxicilline/acide clavulanique.
Les PCR recherchant le coronavirus de la péritonite infectieuse féline et des mycobactéries sont négatives. Les résultats des examens complémentaires sont en faveur d’un pyothorax infectieux, d’une myocardiopathie (forme restrictive ou myocardite dans le contexte clinique, pouvant participer à la formation de l’épanchement pleural par insuffisance cardiaque congestive) 3 et d’une lésion pulmonaire caudodorsale dont l’origine (infectieuse, tumorale) reste à déterminer 1, 4, 5, 6, 7, 8.
Traitement et suivi
L’animal est hospitalisé avec fluidothérapie, antibiothérapie (amoxicilline/acide clavulanique à 12,5 mg/kg BID) et un traitement diurétique (furosémide : 1 mg/kg toutes les 4 heures).
Une sortie est envisagée 3 jours plus tard avec le traitement suivant : Clavaseptin® 16,13 mg/kg PO BID pendant 4 semaines, Libeo® 2,42 mg/kg/jour PO en 3 prises à dose dégressive jusqu’au contrôle.
La surveillance de la fréquence respiratoire à domicile est conseillée avec un contrôle clinique 3 semaines plus tard (Tab. 1).
J+21 jours : le chat est en bon état général mais présente des épisodes de dyspnée (FR : 40-44 rpm). Les radiographies (Fig. 2a et 2b) montrent une cardiomégalie (VHS = 9,5) avec un épanchement pleural (scissure interlobaire) et une consolidation du lobe pulmonaire moyen droit : ces images sont compatibles avec une atélectasie pulmonaire ne permettant pas d’exclure un processus néoplasique ; la vascularisation artérielle pulmonaire est dans les normes.
L’examen échocardiographique révèle une normalisation de la taille des atria et une amélioration de la dysfonction diastolique.
L’antibiothérapie est poursuivie 3 semaines de plus et le furosémide arrêté progressivement.
J+42 jours : malgré le bon état général, la dyspnée persiste. L’échocardiographie (Fig. 3a et 3b) montre une masse pulmonaire maintenant cavitaire s’étendant jusque dans le médiastin crânial et associé à un épanchement pleural.
Un examen tomodensitométrique thoracique (Fig. 4) met en évidence un remaniement important du lobe caudal droit avec présence d’un pneumothorax et d’une pleurésie associé à une hypertrophie du ganglion bronchique ; il est constaté la présence d’un tissu anormal contre le péricarde dans l’hémithorax droit et dans le médiastin.
Une chirurgie par sternotomie permet l’excision d’un tissu pyogranulomateux de l’hémithorax droit avec complète hépatisation du lobe caudal droit lobectomisé avant pose d’un drain thoracique,retiré après 72 heures. L’antibiothérapie est continuée au moyen de Clavaseptin® 16,13 mg/kg BID (10 jours) et de Metrobactin® 62,5 mg/kg en une prise (3 semaines).
L’examen histologique du tissu (Fig. 5) met en évidence un a dénocarcinome trabéculaire peu différencié largement nécrotique remanié de forte malignité avec envahissement du ganglion bronchique traduisant un pronostic réservé 1, 7, 9, 10.
Dix jours après l’intervention, l’épanchement pleural récidive. Une thoracocentèse permet le retrait de 115 ml de liquide hémorragique. Un processus tumoral épithélial pulmonaire de haut grade très probablement d’origine primaire est confirmé.
En attente de la décision d’une chimiothérapie, un traitement corticoïde (Dermipred® 1,61 mg/kg/jour) est mis en place pour limiter la recollection de l’épanchement. Un protocole chimiothérapeutique est mis en place par instillation intrapleurale directe de carboplatine à 250 mg/m² et poursuite du traitement corticoïde (Dermipred® 1,61 mg/kg/jour) pour limiter l’épanchement pleural et contrôler la prolifération tumorale.
Une seconde administration de carboplatine est envisagée 3 semaines plus tard, malheureusement la masse continue à augmenter de volume et est à l’origine d’une tamponnade cardiaque, soulagée par ponction (Fig. 6a et 6b) ; après récidive de la tamponnade l’euthanasie est décidée à J+97 jours.
Discussion et limites
Il est question d’une chatte de 3 ans atteinte d’un adénocarcinome trabéculaire compliqué d’une cardiomyopathie, d’un épanchement pleural et d’un pyothorax infectieux.
Présentation d’une dyspnée chez un chat jeune avec cardiomégalie
À la présentation clinique la cardiomyopathie, point de départ d’un épanchement pleural, est envisagée en premier lieu compte tenu de la cardiomégalie (radiographique et échocardiographique) et de l’expression clinique (dyspnée et assourdissement des bruits cardiaques).
Origines de l’épanchement pleural
L’épanchement pleural peut avoir une origine triple : cardiaque (14 à 47 % selon les études), infectieuse (14 à 37 % selon les études) et/ou tumorale (26 à 61 % selon les études) 1, 6, 7, 8, 11, 12.
Des causes plus rares comme des traumatismes, des torsions de lobes pulmonaires (idiopathique ou traumatique), des hernies (diaphragmatique et/ou péritoné opéricardique),des coagulopathies, des thromboembolies pulmonaires ou des glomérulopathies peuvent également être à l’origine d’épanchements pleuraux 12.
Dans le présent cas une origine cardiaque et infectieuse est privilégiée en premier lieu sur la base des images échocardiographiques et des résultats bactériologiques, ceci motivant l’initiation de la thérapie diurétique associée à une couverture antibiotique.
Examen d’imagerie
L’examen tomodensitométrique de la cavité thoracique est intéressant pour la mise en évidence de lésions et a permis la mise en évidence de lésions compatibles avec une médiastinite contemporaines d’un pneumothorax ou compatibles avec un pyothorax 13.
Examen de laboratoire
Les résultats cytologiques montrent un processus tumoral incitant l’initiation d’une chimiothérapie. Les tumeurs pulmonaires sont majoritairement représentées par les adénocarcinomes trabéculaires et intéressent davantage les lobes caudaux et de manière préférentielle le lobe caudal droit : ce qui est conforme à la présentation initiale des lésions dans ce cas.
Cependant les tumeurs pulmonaires sont des affections rares touchant 0,69 à 0,75 % des chats et majoritairement des animaux âgés avec une médiane d’apparition de 12 ans 4, 8.
Prise en charge chirurgico-médicale
Les tumeurs pulmonaires peuvent être prises en charge par voie chirurgicale adjuvée d’une chimiothérapie au moyen de plusieurs molécules cytostatiques (vinorelbine ; doxorubicine ; gemcitabine) ou cytostatique (vindésine ; paclitaxel et autres taxanes ; irinotécan) qui sont bien connues dans les thérapies (intraveineuse ou par inhalation) chez l’homme.
L’arsenal thérapeutique anticancéreux chez le chat est peu connu, car peu étudié : il recense l’utilisation de mitoxantrone, doxorubicine, épirubicine et carboplatine, des molécules cytotoxiques utilisées par voie intraveineuse et ce pour améliorer la qualité de vie de l’animal, mais avec une médiane de survie de 100 à 730 jours en fonction du protocole 7, 9, 10, 13, 14. Il a été décidé dans le cas présent de réaliser une instillation intrapleurale directe de carboplatine à 250mg/m² (en raison de la pleurésie notamment) pour traiter l’adénocarcinome et prévenir une récidive de l’épanchement pleural et ce après intervention chirurgicale.
Malheureusement l’euthanasie est décidée après une nouvelle récidive d’épanchement pleural et de tamponnade et avant une seconde instillation chimiothérapeutique, à J+97.
Pour conclure, l’originalité de ce cas tient en la multiplicité des facteurs à l’origine de l’épanchement pleural : cardiaque, infectieux et tumoral. Mais également pour ce dernier paramètre au jeune âge du patient avec un adénocarcinome trabéculaire pulmonaire confirmé à 3 ans.
De plus l’évolution de la maladie se solde par une tamponnade cardiaque par compression de la masse sur l’ensemble du cœur droit et responsable de la décision d’euthanasie à J+97.
RemerciementsRemerciements aux Drs François Serres d’oncovet (qui a participé à l’élaboration diagnostique et thérapeutique), Éric Bomassi et Charlotte Misbach (tous deux DESV médecine interne spécialité Cardiologie) qui ont encadré la rédaction de cet article et enfin le service de Chirurgie du CHV les Cordeliers qui a permis la réalisation de la sternotomie. |
Bibliographie
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