Anesthésie du patient gestant
Sommaire
- Depuis quelques années, plusieurs principes actifs (analgésiques, tranquillisants, anesthésiques injectables et volatils) ont été commercialisés. La plupart des différentes classes pharmaceutiques peuvent être combinées dans l’objectif de potentialiser leurs effets bénéfiques tout en diminuant leurs effets indésirables.
- Virtuellement, le vétérinaire peut choisir entre une centaine de protocoles anesthésiques.
- Cet article se propose de faire le point sur les recommandations de prise en charge périanesthésique qui peuvent être données au vétérinaire praticien lorsqu’il doit anesthésier une chienne ou une chatte gestante. Il est important de garder à l’esprit que la gestation a des conséquences importantes sur la physiologie de la femelle.
- Les fonctions respiratoire, cardiovasculaire et rénale subissent des modifications majeures. Certains patients atteints de maladies cliniquement silencieuses peuvent décompenser lors de la période périanesthésique. L’anesthésie générale est à l’origine de dépressions cardiovasculaire et respiratoire sur un patient dont les grandes fonctions sont déjà modifiées.
Auteur : Dr. C. Bille 01-11-2013
Centre Hospitalier Vétérinaire des Cordeliers, 29 avenue du Maréchal Joffre, 77100 Meaux.
E-mail : cbille@chvcordeliers.com
Cet article a été publié dans : EMC Vétérinaire(2014) AN 0410 : p 1-6
Anesthésie du patient gestant
Il s’agit d’une anesthésie à risque qu’il convient de surveiller. La quasi-totalité des principes actifs dont le vétérinaire dispose pour anesthésier sa patiente traversent la barrière placentaire. Leurs effets sur les fœtus sont comparables à ceux qu’ils exercent sur la mère.
La gestion médicale périanesthésique de la patiente gestante est dominée par la recherche et la correction des anomalies hydroélectrolytiques et biologiques. L’oxygénation préanesthésique de l’animal est recommandée.
Plusieurs protocoles d’anesthésie balancée sont disponibles. Ils sont caractérisés par la durée d’action courte des molécules qui les composent.
Introduction
La femelle carnivore domestique gestante est une patiente fréquemment présentée en consultation au vétérinaire praticien. Certaines situations cliniques imposent que celle-ci soit anesthésiée. La gestation est à l’origine de nombreuses modifications physiologiques. Certaines vont avoir un impact sur la prise en charge périanesthésique de la patiente.
Depuis quelques années, plusieurs principes actifs (analgésiques, tranquillisants, anesthésiques injectables et volatils) ont été commercialisés. Leurs autorisations de mise sur le marché incluent leur utilisation dans un protocole d’anesthésie balancée chez les carnivores domestiques. Lorsqu’il doit anesthésier un patient, le vétérinaire dispose désormais d’une quinzaine de principes actifs pour établir son protocole anesthésique. La plupart des différentes classes pharmaceutiques peuvent être combinées dans l’objectif de potentialiser leurs effets bénéfiques tout en diminuant leurs effets indésirables. Virtuellement, le vétérinaire peut choisir entre une centaine de protocoles anesthésiques.
La problématique du vétérinaire lorsqu’il doit anesthésier une patiente gestante pourrait être énoncée de la manière suivante : Quelles sont les recommandations de prise en charge périanesthésique qui peuvent être données au vétérinaire praticien lorsqu’il doit anesthésier une chienne ou une chatte gestante ?
Dans un premier temps, nous exposons les conséquences de la gestation sur la physiologie de la femelle. Puis nous listons les différents principes actifs dont le vétérinaire dispose pour anesthésier sa patiente, et leurs effets sur la physiologie de la mère et de ses fœtus. Enfin, nous définissons les situations dans lesquelles le praticien peut être amené à anesthésier une femelle gestante et dégageons des recommandations de prise en charge périanesthésique.
Impact de la gestation sur la physiologie de la femelle gestante
La plus grande partie des données physiologiques dont nous disposons proviennent d’études réalisées sur les ruminants. Il est couramment accepté que les carnivores domestiques subissent des modifications comparables [1–9].
Lors de la première moitié de la gestation, les changements sont en partie la conséquence de la demande métabolique des fœtus, des placentas et de l’utérus. Lors de la seconde moitié de la gestation, l’utérus exerce des contraintes mécaniques sur les organes abdominaux.
Système cardiovasculaire
La volémie de la mère augmente d’environ 40 % pendant la gestation. Les débits sanguins de l’utérus, des glandes mammaires, des reins, des muscles striés et des tissus cutanés sont augmentés. La production de globules rouges n’augmente pas proportionnellement au volume plasmatique. Il en découle une hémodilution. L’hémoglobinémie et l’hématocrite sont donc plus bas que ceux de la population générale. Le débit cardiaque augmente de 30 à 50 %. La résistance vasculaire systémique diminue. Le retour veineux diminue du fait de la pression de l’utérus sur la veine cave caudale.
L’ensemble de ces modifications peuvent être à l’origine d’une insuffisance cardiaque sur des patients qui souffrent d’une maladie cardiaque compensée.
Fonction respiratoire
La sensibilité des centres respiratoires au gaz carbonique est diminuée. Cela entraîne une diminution de la pression partielle en gaz carbonique et de la concentration plasmatique en bicarbonates. La compensation rénale permet de maintenir le pH sanguin entre 7,35 et 7,45. La consommation en oxygène est augmentée du fait des demandes fœtale, placentaire et utérine. Le déplacement cranial du diaphragme a pour conséquence une diminution de la capacité résiduelle fonctionnelle. Il s’agit du volume d’air encore présent dans les poumons à la fin de l’expiration. Du fait de cette diminution, chez la femelle gestante, une hypoxémie (diminution de la pression partielle en oxygène) intervient plus rapidement que sur un patient sain en cas d’apnée. Ce phénomène doit être gardé à l’esprit car plusieurs agents anesthésiques sont à l’origine de bradypnées ou d’apnées.
Autres fonctions
La perfusion rénale ainsi que le débit de filtration glomérulaire augmentent proportionnellement à l’hypervolémie et au débit cardiaque. Cela a souvent pour conséquence de diminuer les valeurs de l’urémie et de la créatininémie.
La gestation a généralement peu de conséquences sur la fonction hépatique. La protéinémie peut être diminuée. Néanmoins, compte tenu de l’hypervolémie dont la patiente est le siège, le nombre absolu de protéines plasmatiques est en réalité plus élevé que dans la population générale.
La perfusion de l’utérus est proportionnelle à la pression hydrostatique dans les vaisseaux sanguins et inversement proportionnelle à la résistance vasculaire systémique. Ainsi, la libération de catécholamines, lors d’épisodes de peur ou d’anxiété, diminue la perfusion de l’utérus.
Quels sont les principes actifs dont le praticien dispose pour anesthésier une patiente gestante ?
La gestation modifie la pharmacocinétique et la pharmacodynamie des principes actifs
Les effets de la gestation de l’animal de compagnie sur la pharmacocinétique ou la pharmacodynamie des médicaments sont méconnus. Ceci ne se limite pas aux substances utilisées dans l’environnement périanesthésique. La grande majorité des principes actifs utilisés dans la médecine vétérinaire sont concernés [1–6, 8, 9].
Il est considéré que la plupart des principes actifs qui sont administrés à la mère vont traverser la barrière placentaire et, potentiellement, provoquer des effets sur les fœtus similaires à ceux observés sur la mère. La diffusion d’une molécule au travers de la barrière placentaire dépend de son poids moléculaire, de la force de sa liaison aux protéines plasmatiques maternelles, de sa liposolubilité et de son degré de solubilisation plasmatique. La plupart des drogues anesthésiques sont de faible poids moléculaire, liposolubles et faiblement ionisées. Elles traversent la barrière placentaire.
Dans l’environnement périanesthésique, il peut être dégagé un axe de raisonnement. Les molécules d’action courte, comme la morphine, la méthadone, le thiopental, le propofol, l’alfaxalone, l’isoflurane ou le sévoflurane ont une concentration plasmatique qui décline rapidement. La barrière placentaire y est exposée moins longtemps.
Lorsqu’une molécule passe la barrière placentaire, elle intègre la circulation fœtale dans la veine ombilicale. Une partie du sang de la veine ombilicale est ensuite dirigé vers le foie du fœtus. S’il est fonctionnel, il est possible que certaines drogues soient métabolisées. L’autre partie du sang veineux ombilical est dirigé vers la veine cave caudale. Le principe actif est alors dilué dans le volume sanguin du fœtus. Ainsi, il ne peut pas être considéré que les effets d’un principe actif sur le métabolisme maternel sont les mêmes que ceux produits sur le métabolisme fœtal. Il existe donc probablement une différence, dans la nature et dans l’intensité, des effets d’une drogue sur les métabolismes maternel et fœtal. Ces différences dépendent de la maturité des tissus fœtaux et évoluent au cours de la gestation. Les données scientifiques qui permettraient d’appréhender cette notion chez le chien et le chat sont, à ce jour, inexistantes.
Opioïdes
Les opioïdes (morphine, fentanyl, méthadone, buprénorphine, butorphanol) traversent rapidement la barrière placentaire. Ils peuvent être à l’origine d’une dépression respiratoire ainsi que d’une dépression du système nerveux central chez les nouveau-nés [3, 9]. Il est recommandé d’utiliser des opioïdes d’action courte comme la morphine, le fentanyl ou la méthadone. La buprénorphine, dont la durée d’action est comprise entre 4 et 8 heures, n’est pas recommandée [10]. Le butorphanol présente un effet analgésique trop faible pour être utilisé dans un protocole d’analgésie [11]. Lors de césarienne, certains cliniciens utilisent les opioïdes dans leur protocole de prémédication. D’autres administrent l’opioïde une fois la césarienne effectuée. En cas de dépression des nouveau-nés, de la naloxone (0,04 mg/kg par voie intraveineuse) peut leur être administrée afin d’antagoniser les effets dépresseurs des opioïdes.
α2 agonistes
Les 2 agonistes (xylazine, médétomidine, dexmédétomidine, romifidine) passent rapidement la barrière placentaire. Ces principes actifs peuvent être à l’origine d’une dépression cardiovasculaire et respiratoire chez la mère et les nouveau-nés. Ils provoquent une baisse du débit sanguin de l’utérus [12–14]. L’atipamézole est un 2 antagoniste utilisé comme antidote après l’administration d’un 2 agoniste. Il peut théoriquement être injecté dans les vaisseaux ombilicaux des nouveaunés après une césarienne. Plusieurs auteurs ont identifié l’utilisation de la xylazine, en association avec la kétamine, comme un facteur de risque de dépression et de mort des nouveau-nés [15, 16]. L’utilisation de cette classe thérapeutique est, à ce jour, déconseillée dans la gestion périanesthésique d’une patiente gestante.
Tranquillisants
Les benzodiazépines (diazépam, midazolam) ou l’acépromazine peuvent provoquer une dépression importante des nouveau-nés caractérisée par une léthargie, une absence de vocalises, une hypotonie, une apnée et une hypothermie. Leur administration apporte peu de bénéfice. Il n’est pas recommandé d’y avoir recours [3, 9, 14].
Anesthésiques locaux
Les anesthésiques locaux comme la lidocaïne ou la bupivacaïne sont absorbés depuis leur lieu d’injection (site incisionnel, péridurale). Ils franchissent alors la barrière placentaire et, théoriquement, peuvent être à l’origine d’une dépression cardiovasculaire des fœtus. Dans la pratique, il semble que l’injection péridurale d’un anesthésique local provoque rarement une dépression cardiovasculaire chez les nouveau-nés [3, 9].
Les effets secondaires indésirables des anesthésiques locaux sur la mère sont la bradycardie, l’hypotension et une dépression respiratoire [17]. Chez l’humain, 60 % des femmes subissant une césarienne programmée et ayant rec¸u une anesthésie péridurale ont présenté une hypotension ayant nécessité l’administration d’une amine vasoactive [18].
De plus, lorsqu’ils sont administrés par voie péridurale, ils peuvent entraîner une paralysie des membres posté rieurs pendant plusieurs dizaines de minutes. Cela peut entraîner une augmentation du risque d’écrasement des nouveau-nés.
L’efficacité analgésique de l’infiltration des muscles abdominaux transverses par des anesthésiques locaux est en cours d’investigation [9].
Anesthésiques injectables
Thiopental
C’est un barbiturique à durée d’action courte du fait de sa redistribution et de son métabolisme hépatique. Il passe rapidement la barrière placentaire. Il est aussi rapidement éliminé de la circulation fœtale/néonatale. Chez les nouveau-nés, il peut être à l’origine d’une dépression respiratoire, d’une diminution de l’activité, d’une somnolence, ainsi que d’une baisse du réflexe de succion pendant 4 jours. Chez la mère, il peut être à l’origine de réveils agités [1–6, 8, 9].
Propofol
Ses effets sont théoriquement proches de ceux du thiopental. Il passe rapidement la barrière placentaire. Il est rapidement éliminé de la circulation fœtale/néonatale. Chez la mère, le réveil est moins agité [1–6, 8, 9].
Alfaxalone
C’est un anesthésique neurostéroïdien. Il n’existe pas de données sur sa diffusion placentaire. Par défaut, il est considéré qu’il traverse facilement la barrière placentaire. Le réveil d’une anesthésie induite avec de l’alfaxalone est comparable à celui d’une anesthésie induite au propofol [19, 20]. Certains auteurs ont décrit un réveil légèrement plus agité lors de l’utilisation de l’alfaxalone [21].
Kétamine
La kétamine est un anesthésique dissociatif. La dose à administrer pour obtenir une induction anesthésique est élevée chez le chien (3 à 5 mg/kg) et chez le chat (2 à 4 mg/kg) comparée à celle de l’humain (< 1 mg/kg). Du fait de cette dose élevée, elle est à l’origine d’une dépression fœtale importante chez l’animal de compagnie. Son utilisation doit être combinée à celle d’un tranquillisant (benzodiazépine, acépromazine) pour obtenir une myorelaxation satisfaisante. Enfin, le réveil d’une anesthésie induite avec de la kétamine à une dose anesthésique peut être très agité.
Tilétamine-zolazépam
Il n’existe pas d’information sur l’utilisation du mélange tilétamine-zolazépam chez la femelle gestante. Par défaut, il est assimilé à un mélange de kétamine et d’une benzodiazépine [3].
Étomidate
L’étomidate est un dérivé de l’imidazole. Il semble agir selon des modalités semblables à celles des barbituriques et du propofol. Cependant, il n’appartient pas à leur classe pharmaceutique. Chez l’humain, il a été montré que l’étomidate traverse en partie la barrière placentaire [22, 23]. Chez l’humain, la respiration spontanée du nouveau-né apparaît plus rapidement si la mère a été anesthésiée avec de l’étomidate, comparé à du thiopental. Une plus grande vitalité des nouveau-nés a aussi été observée [24]. L’utilisation de l’étomidate sans prémé dication (benzodiazépine ou acépromazine) est souvent associée à des myoclonies et des mouvements involontaires du patient [3].
Anesthésiques volatils
Les anesthésiques volatils traversent la barrière placentaire. Le degré de dépression chez les fœtus et les nouveau-nés est proportionnel à la profondeur de l’anesthésie de la mère. Plus l’anesthésie de la mère est profonde, plus la dépression fœtale est importante [1–6, 8, 9].
La description des modalités d’utilisation des anesthésiques volatils fait souvent appel à la notion de concentration minimale alvéolaire (minimal alveolar concentration [MAC]). Il s’agit, dans la population cible, de la concentration en vapeur anesthésique dans les alvéoles pulmonaires nécessaire pour que 50 % des sujets n’aient pas de réaction motrice lors de l’incision chirurgicale. Plusieurs équipes ont étudié les effets des anesthésiques volatils chez la brebis. Il a été démontré que, chez la femelle gestante, comparée à la femelle non gestante, la concentration d’anesthésique volatil nécessaire pour obtenir une anesthésie satisfaisante était diminuée de 21 % à 40 % [25, 26].
Une concentration de 1 MAC en isoflurane n’a pas eu d’effet sur la perfusion de l’utérus ou sur le métabolisme des fœtus. Une concentration de 2 MAC a été à l’origine d’une diminution de la perfusion utérine et d’une acidose métabolique chez les fœtus après 15 minutes [27].
L’utilisation d’isoflurane et de sévoflurane à 2 MAC a induit une diminution de la pression artérielle moyenne maternelle et fœtale, ainsi qu’une diminution de la fré quence cardiaque fœtale [25, 26].
Il est recommandé de préférer l’utilisation de l’isoflurane ou du sévoflurane à celle de l’halothane [15, 26, 27] et d’administrer l’anesthésique volatil dans un mélange gazeux contenant au minimum 50 % d’oxygène. Cela permet d’optimiser l’oxygénation des fœtus en cas de bradypnée ou d’apnée maternelle [9].
Anticholinergiques
Lors d’une césarienne, la manipulation des organes abdominaux par le chirurgien peut provoquer une stimulation du système parasympathique et être à l’origine d’une bradycardie chez la mère. Si une bradycardie maternelle est identifiée, il peut être recommandé d’avoir recours au glycopyrrolate. Ce dernier ne traverse pas la barrière placentaire. L’utilisation d’atropine, qui traverse la barrière placentaire, n’est pas recommandée [3, 9].
Curares
Les curares (vécuronium, rocuronium, atracurium) sont des paralysants musculaires. Leur utilisation lors de chirurgie obstétrique ne semble pas justifiée [9]. De plus, leur utilisation nécessite des compétences et un matériel spécifique qui permettent d’établir, sans que le doute ne soit permis, que la narcose du patient est satisfaisante. En effet, si un animal sous l’effet de curare se réveille au cours d’une chirurgie, l’équipe chirurgicale peut ne pas s’en rende pas compte car l’animal est paralysé.
Études de terrain
Plusieurs équipes ont comparé l’utilisation de différents anesthésiques lors de césariennes chez les chiennes. L’utilisation de xylazine, de thiopental, de kétamine ou de l’association midazolam-kétamine étaient associées à une augmentation de la dépression et/ou de la mortalité des nouveau-nés [15, 16, 28]. Une équipe a comparé la vitalité des chiots nés de mères anesthésiées avec du propofol associé à de l’isoflurane ou avec de l’alfaxalone associée à de l’isoflurane [29]. La puissance statistique de l’étude est limitée car elle n’inclue que 22 chiennes pour 21 nouveau-nés. Néanmoins, la vitalité des nouveaunés était plus importante dans le groupe dont les mères avaient rec¸u de l’alfaxalone. La mortalité des nouveaunés était la même à 3 mois. Chez le chat, aucune étude satisfaisante n’est disponible. Une communication semble indiquer que l’utilisation du propofol associé à l’isoflurane est corrélée à une diminution de la vitalité des chatons et à une augmentation du nombre de mort-nés [30]. Ces résultats sont cependant difficilement interprétables car aucune comparaison statistique n’a été effectuée entre les groupes. À ce jour, les protocoles d’anesthésie générale recommandés peuvent être basés sur une anesthésie gazeuse (isoflurane ou sévoflurane) ou sur l’association d’un anesthésique injectable (propofol ou alfaxalone) associé à un relais gazeux (isoflurane ou sévoflurane). Ils semblent induire moins de dépression des nouveau-nés que les autres. Une prémédication avec un opioïde peut être effectuée. L’utilisation de lidocaïne et/ou de bupivacaïne pour infiltrer le site incisionnel ou administré par voie péridurale peut compléter le protocole anesthésique [1, 3, 5, 8, 9, 15, 16, 28, 29, 31].
Quelles sont les situations cliniques dans lesquelles le praticien est amené à anesthésier une patiente gestante ?
L’animal gestant est le siège de modifications métaboliques qui ont des conséquences sur les fonctions cardiovasculaire et respiratoire (cf. supra). Certains patients atteints de maladies cliniquement silencieuses peuvent décompenser lors de la période périanesthésique. L’anesthésie générale est à l’origine de dépressions cardiovasculaire et respiratoire sur un patient dont les grandes fonctions sont déjà modifiées. Il s’agit d’une anesthésie à risque qu’il convient de surveiller.
Césarienne
La césarienne est un acte couramment pratiqué en médecine vétérinaire. Elle est indiquée en cas de dystocie et de césarienne programmée.
Considérant la population représentée par les chiennes de moins de 10 ans, l’incidence de la dystocie est estimée à 2 %. Parmi la population de chiennes présentant une dystocie, 63,8 % nécessitent une césarienne [32]. Les facteurs de risques de dystocie chez la chienne sont l’âge supérieur à 7 ans et l’appartenance à une race prédisposée [32]. Les races prédisposées ont été décrites ailleurs [32–34]. Le taux de mortalité des chiennes ayant subi une césarienne est de 1,2 % [15]. Le taux de survie des chiens nouveau-nés est compris entre 80 % et 94,7 % [15, 16, 29, 35].
Considérant la population représentée par les chattes, l’incidence de la dystocie est comprise entre 3,3 % et 5,8 %. Parmi la population de chattes présentant une dystocie, 79,4 % nécessitent une césarienne. Le persan semble être une race prédisposée à cette affection alors que le chat des forêts Norvégiennes semble protégé [36]. Chez la chienne, le fait d’effectuer une césarienne en urgence est associé à une augmentation significative de la mortalité des nouveau-nés [15].
Il est possible d’avoir recours chez la chienne à une césarienne programmée. La date de l’ovulation est déterminée par le dosage quantitatif de la progestéronémie. Une injection de 15 mg/kg d’aglepristone est effectuée par voie sous-cutanée 59 à 60 jours après la date de l’ovulation. La césarienne est effectuée dans les 20 à 24 heures qui suivent l’injection. Le taux de survie des nouveau-nés, 2 semaines après l’opération, est de 97,4 % [37].
Quelles que soient les conditions dans lesquelles une césarienne est effectuée, il est recommandé de médicaliser l’animal gestant. Une équipe a montré que la stabilisation médicale des animaux de compagnie avant l’induction de l’anesthésie permettait de diminuer la mortalité périanesthésique [38]. Le recours à une césarienne impose donc une gestion médicale préopératoire. Un bilan biologique doit avoir permis d’évalué le statut hydroélectrolytique, l’hématocrite, la protéinémie, l’albuminémie, la glycémie ainsi que la calcémie avant de débuter la chirurgie. Une correction des anomalies identifiées doit avoir été entreprise avant d’opérer l’animal [1–6, 8, 9]. Il est important de garder à l’esprit qu’environ 35 % des chiennes et 20 % des chattes présentant une dystocie peuvent être gérées médicalement [32, 36].
Lorsque la prise en charge médicale a été effectuée, il est recommandé d’administrer de l’oxygène à la chienne pendant 3 à 5 minutes avant l’induction anesthésique et de la tondre vigile [1–6, 8, 9].
L’ensemble du personnel et du matériel nécessaire à la prise en charge des nouveau-nés doivent être prêts avant de débuter l’anesthésie. La dose des principes actifs à administrer doit être calculée en fonction d’une estimation poids de la chienne non gestante.
En l’état actuel des connaissances scientifiques, les opioïdes tels que la morphine et la méthadone constituent la prémédication de choix. Une étude a montré que, chez dans la population générale canine, la mortalité anesthésique est moins élevée lorsque le protocole anesthésique comporte une induction réalisée par l’administration d’un principe actif injectable administré par voie intraveineuse associé à un relais gazeux (isoflurane ou sévoflurane) comparé à une induction par inhalation d’un agent volatil, quel qu’il soit [39]. Chez la chienne, les molécules d’induction peuvent être le propofol ou l’alfaxalone. Chez la chatte, l’utilisation du propofol est débattue [30]. L’utilisation de l’alfaxalone peut être recommandée.
L’incidence des régurgitations au cours d’une anesthé sie a été estimée à 0,96 % chez le chien [40]. Compte tenu de l’augmentation de la pression intra-abdominale chez l’animal gestant, il paraît légitime de considérer que ce risque est majoré [3, 9]. Il est recommandé de pratiquer une intubation endotrachéale dès que possible afin de diminuer le risque de fausse déglutition [1, 3, 5, 9, 31]. Le maintien de l’anesthésie peut alors se faire par l’administration d’isoflurane ou de sévoflurane mélangé à de l’oxygène pur.
Une valence analgésique supplémentaire peut être apportée par l’infiltration du site incisionnel avec une combinaison d’anesthésique locaux (lidocaïne, 2 mg/kg, associée à la bupivacaïne, 2 mg/kg) [3, 9].
Au cours de l’anesthésie, il est recommandé de porter une attention particulière à la surveillance des fonctions cardiovasculaire et respiratoire du patient. Les recommandations ne sont pas spécifiques à l’animal gestant. La fréquence cardiaque doit être adaptée au gabarit et à l’espèce du patient (80-150 battements par minute). Le rythme cardiaque doit être sinusal et régulier. La pression artérielle moyenne doit être au-dessus de 60 mmHg. L’identification d’une hypotension doit amener le praticien à ajuster le débit des fluides administrés. L’administration de bolus itératifs de 10 ml/kg de soluté isotonique (chlorure de sodium à 0,9 % ou Ringer lactate) peut être envisagée. Il peut aussi être recommandé de diminuer la fraction inspirée de gaz halogéné. Si l’hypotension persiste, il est possible d’utiliser des amines vasoactives (dopamine : 1-4 µg/kg/min ; dobutamine : 2-20 µg/kg/min ; noradrénaline : 0,05-1 µg/kg/min).
La ventilation de l’animal doit être assurée par huit à douze mouvements respiratoires par minute. Leur amplitude doit être de 10 à 20 ml/kg. Si une hypoventilation est présente, ces mouvements doivent être effectués manuellement ou à l’aide d’un ventilateur anesthésique.
La prise en charge de la douleur postopératoire de la femelle constitue un véritable défi. Aucune étude ne permet de guider le praticien dans son choix. En l’état actuel des connaissances, il paraît justifié de considérer que les molécules administrées à la mère peuvent être excrétées dans le lait maternel sous leur forme active ou sous forme de métabolites. Les effets de ces molécules sur le métabolisme des nouveau-nés sont méconnus chez les animaux de compagnie [1, 3]. Il peut être recommandé d’adapter le protocole analgésique à chaque patient. Les molécules les plus utilisées sont les anti-inflammatoires stéroïdiens et le tramadol (2 mg/kg).
Interventions non obstétriques
Il s’agit principalement de femelles gestantes ayant subi un traumatisme. Aucune étude n’est disponible chez les animaux de compagnie pour guider le praticien dans ce cas particulier. Les effets tératogènes ou abortifs des molécules antalgiques, de prémédication, d’induction et de maintien de l’anesthésie sont méconnus. Cependant, une équipe a étudié les effets de l’anesthésie chez les brebis gestantes lors de leur deuxième tiers de gestation. Les animaux étaient prémédiqués avec du midazolam. L’anesthésie était induite avec du thiopental, puis maintenue pendant 4 heures avec de l’isoflurane. L’ensemble des mesures effectuées ont montré que l’anesthésie n’était pas à l’origine d’une hypoxie cérébrale fœtale. Le développement du fœtus lui a permis de maintenir un débit sanguin cérébral ainsi qu’une oxygénation céré brale constants, même en cas d’hypotension maternelle. Les auteurs concluent que, à partir du second tiers de gestation, un incident dans le développement fœtal suite à un acte chirurgical ne peut être imputé en totalité à l’anesthésie [41].
Il est recommandé d’orienter la thérapeutique vers une diminution du stress et de l’hypoxie de la femelle gestante qui peuvent provoquer un part prématuré ou augmenter la mortinatalité. Le traitement médical consiste à soutenir la fonction respiratoire par l’apport d’oxygène. Une éventuelle hypotension doit être traitée par l’administration de fluides isotoniques (chlorure de sodium à 0,9 % ou Ringer lactate). Le recours aux amines vasoactives est possible. Il est recommandé de transfuser la chienne si l’hématocrite chute en dessous de 25 %. Il est alors important de vérifier la compatibilité du donneur et du receveur (typage, cross match). Les recommandations périanesthésiques sont les mêmes que pour une césarienne. Cependant, le passage de la barrière placentaire par les principes actifs semble représenter une variable moins importante. En effet, l’élimination des produits du sang fœtal se fait par un retour rapide vers la circulation maternelle [1].
Conclusion
La gestation a des conséquences importantes sur la physiologie de la femelle. Les fonctions respiratoire, cardiovasculaire et rénale subissent des modifications majeures.
La quasi-totalité des différents principes actifs dont le vétérinaire dispose pour anesthésier sa patiente traverse la barrière placentaire. Leurs effets sur les fœtus sont comparables à ceux qu’ils exercent sur la mère.
La gestion médicale périanesthésique de la patiente gestante est dominée par la recherche et la correction des anomalies hydroélectrolytiques et biologiques. L’oxygénation préanesthésique de l’animal est recommandée. Plusieurs protocoles d’anesthésie balancée sont disponibles. Ils sont caractérisés par la durée d’action courte des molécules qui le composent.
Les points essentiels
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Bibliographie
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