Aspergillose nasale, à propos d’un cas clinique
Sommaire
- Face un jetage nasal unilatéral, de nombreuses hypothèses sont à envisager, en premier lieu celle d’un corps étranger. Dans le cas présenté ici, il s’agissait d’une aspergillose nasale, rare dans cette espèce.
- L’occasion en est donnée de rappeler les principales bases de la thérapeutique de ces affections.
Auteur : Dr. S. Etchépareborde 01-09-2013 Centre Hospitalier Vétérinaire des Cordeliers, 29 avenue du Maréchal Joffre, 77100 Meaux. E-mail : setchepareborde@chvcordeliers.com Cet article a été publié dans : L’Essentiel (2013) : p 7-9
Aspergillose nasale, à propos d’un cas
Une chatte stérilisée européenne est présentée en consultation pour une rhinite chronique réfractaire aux traitements précédents (AINS, antibiotiques).
Examen clinique
Le jour de la consultation, son examen général est normal. Elle présente un écoulement nasal muqueux unilatéral à gauche. La propriétaire signale que cet écoulement est parfois mucopurulent. L’examen des deux conduits auditifs est normal. Il n’y a aucune anomalie neurologique.
Hypothèses diagnostiques
Le diagnostic différentiel est celui d’une rhinite unilatérale :
- Corps étranger : hypothèse la plus probable sur ce cas
- Tumeur
- Polype nasopharyngé obstruant un méat nasopharyngé : présentation atypique
- Rhinite allergique : mais écoulement unilatéral uniquement
- Rhinite virale : mais ne répond pas aux traitements symptomatiques
- Aspergillose : rare chez le chat
Examens complémentaires
Après discussion avec le propriétaire, la chatte est anesthésiée avec du midazolam (0,2 mg / kg) et du propofol (dose à effet) puis intubée et maintenue sous isoflurane. Un scanner des cavités nasales est réalisé. Entre le méat nasopharyngé à gauche et la partie ventrale des volutes de l’éthmoïde, on observe du matériel rehaussé après injection du produit de contraste pouvant correspondre à un épaississement muqueux (figure 1).
La lumière du méat nasopharyngé est quasi complètement comblée par du matériel peu rehaussé après injection et se prolonge caudalement par une masse prenant une forme ovale très régulière (figures 2 et 3).
Le reste de l’examen de la cavité nasale ne montre aucune anomalie.
Une rhinoscopie rétrograde a ensuite été réalisée pour visualiser la structure obstruant le méat nasopharyngé. Une structure blanche à bords irréguliers semble posée sur la muqueuse et bloquée dans le méat nasopharyngé gauche (figure 4).
Ce corps étranger est inaccessible pour les pinces endoscopiques et une chirurgie est donc décidée.
Figure 1
Dans la partie ventrale des volutes de l’ehmoïde, du tissus prenant le produit de contraste obstrue partiellement les voies respiratoires.
Figure 2
Coupe sagittale montrant le prolongement du corps étranger dans le nasopharynx.
Figure 3
On note ici la forme ovale du corps étranger se prolongeant dans le nasopharynx.
Figure 4
Vue endoscopique en rhinoscopie rétrograde du corps étranger.
Traitement chirurgical
L’animal est placé en décubitus dorsal avec la bouche maintenue grande ouverte. Une rhinotomie par abord ventral est réalisée. Après incision de la muqueuse palatine sur la ligne médiane, celle-ci est écartée à l’aide d’un élévateur de périoste. L’os palatin est ensuite percé à l’aide d’une fraise puis le trou est agrandi à l’aide d’une pince gouge (figure 5).
Cet abord permet de visualiser la structure blanche vu à l’endoscopie. Contre toute attente, le corps étranger ne vient pas en un seul bloc mais se délite et est retiré en plusieurs fois. Après son retrait, la cavité nasale est flushée abondamment puis la muqueuse palatine refermée par un surjet simple et le corps étranger est envoyé pour analyse histopathologique (figure 6).
Le laboratoire n’a pas mis en évidence de corps étranger mais un amas d’éléments fongiques de type Aspergillus sp avec une surinfection bactérienne.
À la suite des résultats du laboratoire, la chatte a été à nouveau anesthésiée pour subir une balnéation à l’enilconazole pendant une heure à l’aide de sonde de Foley obstruant les narines et les choanes. À la fin de la balnéation, la cavité nasale a été remplie de clotrimazole 1 % sous forme de gel.
Figure 5
Le chat est sur le dos, gueule grande ouverte. Une incision est réalisée sur la partie médiane du palais.
Photo 6
Plaie suturée après curettage des cavités nasales.
Suivi
Les signes cliniques ont disparu pendant 3 mois avant qu’un écoulement purulent de la même narine ne réapparaisse. Un scanner de contrôle a été réalisé et montre un comblement quasi complet de la cavité nasale gauche par du matériel non réhaussé après injection du produit de contraste (figure 7).
Le sinus frontal gauche est à moitié comblé par du matériel déclive correspondant à du liquide (figure 8).
Une endoscopie normograde des cavités nasales est réalisée et confirme la présence des mêmes placards blanchatres déjà analysés la dernière fois (figure 9).
À l’aide d’une pince à biopsie, tous les placards visibles sont débridés afin de dégager la cavité nasale. Le sinus frontal gauche a ensuite été tréphiné pour injecter le clotrimazole gel 1 % directement dans le sinus et ce jusqu’au remplissage complet de la cavité nasale (figure 10).
Un traitement systémique à base d’itraconazole a ensuite été mis en place.
Figure 7
Le scanner de contrôle montre une obstruction importante de la cavité nasale gauche.
Figure 8
Le sinus frontal gauche est à demi rempli d’un matériel déclive.
Figure 9
Vue des placards aspergilleux à l’endoscopie.
Figure 10
Tréphination du sinus frontal gauche avant injection du clotrimazole 1%.
Discussion
L’aspergillose nasale est rare chez le chat. Moins d’une quarantaine de cas a été décrits jusqu’à maintenant et toujours sous la forme de cas clinique ou de petites séries de cas. Il existe donc peu d’information disponible quant à l’étiologie ou le traitement le plus adapté. L’aspergillose peut toucher la cavité nasale, les sinus ou les orbites.
L’affection sinoorbitale semble la plus fréquente chez le chat d’où l’importance de réaliser un scanner pour constater l’étendue des lésions. Des âges entre 1 et 13 ans ont été décrits et il semblerait que les chats brachycéphales soient plus souvent représentés. Une immunodéficience (FeLV, FIV) n’est pas indispensable pour expliquer une aspergillose. Le diagnostic n’est pas toujours chose aisée : l’histologie et la cytologie sont inconsistantes chez le chien (entre 40 et 80% de détection) bien qu’il ait été démontré que des prélèvements sous endoscopie et donc par directe visualisation améliorent grandement ces résultats. Dans la mesure où Aspergillus est omniprésent, la culture fongique est un test très spécifique (si le test est négatif c’est qu’il n’y a pas d’Aspergillus) mais peu sensible (si le test est positif, il peut s’agir d’Aspergillus non pathogène et n’expliquant pas les signes cliniques). La valeur des tests sériques pour Aspergillus n’est pas connue chez le chat. Les traitements chez le chat sont adaptés des traitements de l’aspergillose chez le chien. Il est donc toujours conseillé de débrider les placards fongiques avant une balnéation. Différents types de balnéation ont été décrits. Typiquement les cavités nasales sont remplies d’antifongique pendant une heure après avoir obstrué les choanes et cavités nasales.
Plus récemment, une tréphination des sinus nasaux a été décrite pour flusher les cavités nasales avec de l’antifongique avant de les remplir avec un gel antifongique. L’avantage de cette technique est de limiter le temps anesthésique.
Le pronostic est meilleur pour les chats atteints d’aspergillose sinonasale comparée aux atteintes sino-orbitales qui sont plus difficiles à traiter. Et chez le chat, due à la potentielle évolution d’une aspergillose sinonasale vers une aspergillose sino-orbitale il est conseillé d’ajouter un traitement systémique après le traitement local.
Bien que rare il est important d’inclure l’aspergillose dans les rhinites du chat. En effet, un diagnostic précoce évitera une évolution de l’aspergillose vers la cavité orbitale qui semble malheureusement être le cas le plus fréquent. Le pronostic lorsque l’aspergillose est sinonasale est bon après traitement mais reste très réservé lorsque l’orbite est atteinte car dans ces cas les récidives sont quasi systématiques.