En administrer ou non ? Le b.a.-ba de l’antibiothérapie

Sommaire

  • Sur un peu moins de 1800 tonnes d’antibiotiques consommés chaque année en France, environ deux tiers le sont pour les animaux[1]. Bien sûr, lorsque l’on rapporte ces chiffres à la consommation par kg d’utilisateur, les humains consomment une dose d’antibiotique près de trois fois supérieure à celle des animaux.

Auteur : Dr. S. Etchépareborde 01-11-2015 Centre Hospitalier Vétérinaire des Cordeliers, 29 avenue du Maréchal Joffre, 77100 Meaux. E-mail : setchepareborde@chvcordeliers.com Cet article a été publié dans : L’Essentiel (2015)  : p 40-42


En administrer ou non ? Le b.a.-ba de l’antibiothérapie

  • Les animaux de rente représentent une majorité de cette consommation en vétérinaire. La prescription des antibiotiques chez les animaux de compagnie n’est cependant pas à prendre à la légère et ses dérives de plus en plus fréquente nous exposent déjà aux mêmes problèmes d’antibiorésistance que l’on rencontre en humaine[2].
  • On distinguera ici les deux types d’utilisation des antibiotiques : l’antibioprohpylaxie et l’antibiothérapie.

L’antibioprophylaxie

Elle vise à prévenir les risques d’une complication septique après une chirurgie. Une antibioprophylaxie bien gérée permet de diminuer la quantité d’antibiotiques utilisés dans la mesure où elle permet d’éviter le recours à une antibiothérapie massive en cas d’infection.

Il existe des principes à appliquer pour qu’elle soit la plus judicieuse possible et nous allons les détailler mais le plus important est d’associer cette antibioprophylaxie au type d’intervention.

L’antibioprophylaxie n’a pas pour but de compenser un manque de stérilité. Du matériel stérile (instruments, champs, gants,…) doit être utilisé pour les chirurgies et l’utilisation des antibiotiques pour pallier un défaut de stérilité contribue grandement à leur surutilisation abusive.

Classification des chirurgies

Le tableau 1 rappelle la classification des chirurgies en propre, propre-contaminée, contaminée et sale. Il y existe des évidences selon lesquelles des chirurgies propres (les convenances en résumé) ne nécessitent aucune antibiothérapie[3, 4].

Cette évidence est moins vraie pour les chirurgies propres contaminées et il n’est donc pas absurde de pratiquer une antibioprophylaxie pré et peropératoire (si la chirurgie se prolonge, cf. ci-dessous) pour ce type de chirurgie.

Pour les chirurgies contaminées et sales, une antibioprophylaxie pré et peropératoire est pleinement justifiée et peut même se poursuivre quelques jours après la chirurgie.

Les antibiotiques à utiliser

Théoriquement, n’importe quel bactéricide peut être utilisé en prophylaxie. Il n’est cependant pas nécessaire d’utiliser des antibiotiques de dernière génération ou des familles d’antibiotiques préférées pour de la seconde intention.

Les céphalosporines de première génération sont les antibiotiques de choix pour la prophylaxie. Elles sont efficaces contre la plupart des germes chirurgicaux, leur toxicité est faible, leur coût raisonnable et leur durée d’action longue.

Néanmoins, en fonction de la chirurgie et des germes le plus fréquemment rencontrés on peut adapter ses protocoles d’antibioprophylaxie (Tableau 2).

La mise en place d’une antibioprophylaxie

Les antibiotiques doivent être injectés par voie intraveineuse entre 30 et 60 minutes avant l’incision cutanée (la cefalexine [céphalosporine de première génération] est utilisée à dose de 22 mg / kg). Si la chirurgie est longue, les antibiotiques peuvent être administrés toutes les 90 à 120 minutes. Il n’y a pour l’instant aucune évidence qu’une antibioprophylaxie continuée après la chirurgie ait un quelconque intérêt. Ce que l’on sait des études réalisées en humaine est qu’il n’y a pas de différence entre une antibioprophylaxie de 5 jours et une antibioprophylaxie arrêtée avant 24 heures[5-7].

Dans cette lutte raisonnée contre les infections, il est évident que l’utilisation des antibiotiques doit faire partie d’un ensemble de mesures visant à diminuer le risque. Ainsi, l’animal doit être tondu après son induction sinon le risque d’infection est augmenté. L’asepsie de la peau doit être minutieuse[8] et les principes de stérilité doivent être respectés pendant la chirurgie. Après la chirurgie, il est important de vérifier la température et la glycémie[7].

Les facteurs aggravants d’infection

Au delà de la classification des chirurgies, certains facteurs ont été mis en avant comme des facteurs de risque qui augmentent le taux d’infection. Il faut donc gérer les patients au cas par cas pour juger de la pertinence d’une antibioprophylaxie.

La durée de la chirurgie et de l’anesthésie est corrélée avec le risque d’infection et dans la mesure du possible il faut donc minimiser ces temps.

La chirurgie orthopédique, bien que propre par excellence, est un cas particulier et justifie une antibiothérapie afin de diminuer le taux d’infection[9]. Aucune étude à ce jour n’a montré l’efficacité de continuer les antibiotiques, passée l’injection préopératoire, pendant plusieurs jours.

Les endocrinopathies quelles qu’elles soient augmentent le risque d’infection. L’utilisation de propofol, l’âge (>8 ans) et l’utilisation de matériel de suture tressé ont aussi été mis en cause dans l’augmentation du risque infectieux.

L’antibiothérapie

Les antibiotiques à utiliser

Une antibiothérapie, donc un traitement antibiotique dans le but de guérir une infection avérée, devrait en théorie se baser sur les résultats d’une culture bactérienne et d’un antibiogramme. Soyons honnêtes, une grande majorité de nos antibiothérapies se fait empiriquement mais leur choix devrait alors être motivé par la connaissance des bactéries les plus probables dans chaque situation et par une volonté de garder les antibiotiques de dernière génération pour de la seconde intention. Si seconde intention il y a à cause d’un échec de l’antibiothérapie empirique, elle ne doit pas en revanche être mise en place sans un antibiogramme. De même la recommandation d’un antibiogramme avant chaque antibiothérapie ne veut pas dire qu’il faille attendre les données du laboratoire pour commencer un traitement mais que ce dernier est commencé de manière empirique puis adapté en fonction de l’antibiogramme.

Une bonne connaissance des antibiotiques est nécessaire afin de prévoir les effets secondaires qui leur sont associés (Tableau 3).

Il est bon de se rappeler que les antibiotiques sont préférentiellement temps dépendants ou dose dépendants. Ainsi il est inutile d’augmenter les dose des bétalactamines puisque c’est leur fréquence d’administration qui importe. De même rien ne sert de multiplier les doses d’une quinolone dont seul le pic de concentration importe. En règle général, il ne faut pas modifier les prescriptions du laboratoire.

Les associations

Les interactions entre deux antibiotiques sont extrêmement complexes. L’existence d’une synergie, même documentée, ne montre qu’une tendance à une meilleure efficacité antibactérienne si les autres paramètres sont respectés par ailleurs. A contrario, certains antibiotiques s’ils sont utilisés ensembles sont antagonistes et verront alors leur efficacité respective diminuée. Les aminosides sont synergiques (1 + 1 = 3) avec les bétalactamines. Les quinolones et les aminosides le sont aussi. Les bétalactamines et les quinolones sont additives (1 + 1 = 2). En revanche beaucoup de bactériostatiques sont antagonistes (Tableau 3) et ne pourront pas être associés au risque de diminuer leurs efficacités.

En conclusion, les chirurgies propres ne nécessitent pas d’antibiotiques. Les chirurgies propre-contaminées justifient une injection IV préopératoire (renouvelée pendant la chirurgie si elles dépassent les 90 minutes. Les chirurgies contaminées et sales nécessitent une antibiothérapie basée sur un antibiogramme idéalement ou pour le moins basée sur les germes en présence les plus probables.

Notre vaste choix d’antibiotiques est un luxe.
Montrons nous raisonnable pour le conserver.

La peur de l’infection et de ses terribles conséquences et le « ça fait 20 ans que… » ne sont pas suffisants pour utiliser les antibiotiques à tort et à travers. Fort heureusement, chacun de nous est (encore !) libre d’utiliser les antibiotiques comme il le souhaite et a le luxe de pouvoir choisir entre les différents antibiotiques auxquels il a accès (photo).

Mais une prise de conscience collective pour une meilleure application des principes de bonne pratique dans ce domaine est la seule manière de conserver ce privilège encore longtemps.

Bibliographie

  1. ANSES: Spécial antibiotiques et antibiorésistance. Bulletin épidémiologique, santé animale et alimentation Nov 2012:1-56, 2012.
  2. Clarke CR: Antimicrobial resistance. Vet Clin North Am Small Anim Pract 36:987-1001, vi, 2006.
  3. Daude-Lagrave A, Carozzo C, Fayolle P, et al: Infection rates in surgical procedures: a comparison of cefalexin vs a placebo. Vet Comp Orthop Traumatol 14:146-150, 2001.
  4. Vasseur PB, Paul HA, Enos LR, et al: infection rates in clean surgical procedures: a comparison of ampicillin prophylaxix vs a placebo. JAVMA 187:825-827, 1985.
  5. ASHP Therapeutic Guidelines on Antimicrobial Prophylaxis in Surgery. American Society of Health-System Pharmacists. Am J Health Syst Pharm 56:1839-1888, 1999.
  6. Bratzler DW, Houck PM: Antimicrobial prophylaxis for surgery: an advisory statement from the National Surgical Infection Prevention Project. Clin Infect Dis 38:1706-1715, 2004.
  7. Bratzler DW, Dellinger EP, Olsen KM, et al: Clinical practice guidelines for antimicrobial prophylaxis in surgery. Am J Health Syst Pharm 70:195-283, 2013.
  8. Evans LK, Knowles TG, Werrett G, et al: The efficacy of chlorhexidine gluconate in canine skin preparation – practice survey and clinical trials. J Small Anim Pract 50:458-465, 2009.
  9. Whittem TL, johnson AL, Smith CW, et al: Effect of perioperative prophylactic antimicrobial treatment in dogs undergoing elective orthopedic surgery. JAVMA 215:212-216, 1999.