Calculs de cystine chez un chien

Cas clinique

  • Un chien Spitz, mâle non stérilisé de 11 ans, est présenté pour dysurie, pollakiurie et hématurie (en début de miction) évoluant depuis 48 heures.
  • Les propriétaires ne rapportent aucune altération de l’état général.
  • L’animal est correctement vacciné et vermifugé.
  • Il est nourri avec une alimentation industrielle sèche achetée en grande surface.

Auteur : Dr. E. Rattez 01-11-2015
Centre Hospitalier Vétérinaire des Cordeliers, 
29 avenue du Maréchal Joffre, 77100 Meaux.
E-mail : erattez@chvcordeliers.com


Calculs de cystine – Urolithiases chez un chien

À l’examen clinique, la vessie est de petite taille. Le toucher prostatique semble normal.
L’examen neurologique ne révèle aucune anomalie.

Compte tenu de l’anamnèse et de l’examen clinique, une affection du bas appareil urinaire est privilégiée. Les hypothèses diagnostiques sont :

  • une urolithiase (vésicale et/ou urétrale).
  • une masse urétrale ou vésicale.
  • une sténose urétrale ou une masse extra-urétrale à l’origine d’un « effet de masse ».
  • une infection du bas appareil urinaire.

Une affection neurologique et un syndrome prostatique semblent peu probables.

L’échographie de l’appareil uro-génital met en évidence des calculs vésicaux. Le reste de l’examen ne présente aucune anomalie (Photos 1 et 2).
Des radiographies centrées sur l’abdomen caudal (face et profil) sont réalisées afin d’explorer l’urètre, elle révèle en plus de la lithiase vésicale, une lithiase urétrale (Photo 3).
Une analyse d’urine prélevée par cystocentèse montre une densité à 1,040, un pH à 7 ainsi qu’une discrète protéinurie (une croix à la bandelette). Le culot urinaire montre des cellules épithéliales et quelques globules rouges. Ceci est compatible avec un phénomène inflammatoire.
Un bilan biologique est réalisé et ne révèle aucune anomalie.

Compte tenu du risque important d’obstruction urinaire, l’exérèse des calculs par cystoscopie laparoscopique est décidée.
L’animal est anesthésié de manière usuelle (morphine, acépromazine et propofol), l’abdomen est préparé de manière aseptique, une canule optique est mise en place par voie transombilicale après insufflation par du CO2 à 12 mm Hg. La séreuse vésicale est visualisée, elle présente un aspect normal.
Une canule de 2,7 mm est introduite dans la vessie en pénétrant la séreuse ventralement. Une irrigation continue distribuée par une uro-pompe permet un lavage vésical abondant et l’aspiration concomitante des cristaux.
Une sonde urinaire de grand diamètre est ensuite introduite dans l’urètre pénien et raccordée à l’uro-pompe ce qui produit une rétropulsion des calculs dans la vessie où ils sont récupérés à l’aide d’une pince (Photos 4 et 5).
Une urétroscopie rétrograde ainsi qu’une radiographie post-opératoire confirment le retrait de l’intégralité des calculs.

Une infection du bas appareil urinaire est recherchée par un examen bactériologique sur les urines, un calcul ainsi qu’une biopsie de muqueuse vésicale réalisée au cours de l’intervention.

Après l’intervention, l’animal est hospitalisé 24 heures. Les soins usuels (perfusion et gestion de la douleur) sont mis en place et la perméabilité des voies urinaires est régulièrement vérifiée. Une antibiothérapie probabiliste à base de céfalexine (15 mg/kg BID) est mise en place. L’examen bactériologique étant négatif, elle est suspendue après 5 jours.
Un traitement anti-inflammatoire (méloxicam 0,1 mg/kg SID) est instauré pendant une dizaine de jours.
Les calculs sont analysés par spectrophotométrie infra-rouge. Ils sont composés à 100% de cystine.
Le traitement et le régime sont donc adaptés. De la tiopronine (Acadione ND, 15 mg/kg PO BID) est prescrite et un régime spécifique est mis en place (mélange 50/50 de croquettes diététique à visée rénale et faible en purine).

Un contrôle est réalisé deux mois après l’intervention. L’analyse d’urine ainsi que l’examen échographique ne montrent pas d’anomalie. La tolérance au traitement à base de tiopronine est jugée excellente. Il est rappelé au propriétaire l’importance du régime spécifique dans la prévention des récidives. Des contrôles à intervalle régulier sont donc planifiés.

Discussion

Les urolithiases sont un motif de consultation peu fréquent en médecine canine, et parmi eux, les calculs de cystine sont rares. Sans que la raison n’ait été identifiée, leur prévalence est dépendante de la localisation géographique. Aux Etats-Unis, une étude récente les place parmi les urolithiases les moins fréquentes (entre 1 et 2%) alors que dans certaines parties de l’Europe (Espagne en particulier), leur prévalence peut atteindre 26%1, 2.

Les animaux concernés sont presque exclusivement des mâles âgés de 2 à 8 ans. Les races à risque sont le Bouledogue Anglais, le Terre-Neuve, le Teckel et le Chihuahua. Chez le Terre Neuve, les symptômes se manifestent précocement et ce, quel que soit le sexe de l’animal2, 3, 4.

La cystine est composée de deux acides aminés reliés par un pont sulfure. Chez l’animal sain, elle est librement filtrée par le glomérule puis activement réabsorbée dans le tube contourné proximal. Chez les animaux malades, les protéines de transport responsables de la réabsorption sont non fonctionnelles, la concentration urinaire en cystine est donc anormalement élevée. La cystine étant peu soluble dans les urines, les chiens présentant une cystinurie sont donc prédisposés à la formation de calculs.

Le diagnostic de cystinurie repose sur l’examen du culot urinaire qui objective des cristaux hexagonaux typiques ou sur l’analyse par spectrophotométrie à infra-rouge du calcul. Un dépistage pourrait être effectué soit par réaction colorimétrique (dite de Brand qui utilise le nitroprusside de cyanure, toxique) soit par chromatographie urinaire. Ces deux techniques ne sont pas abordables en pratique1, 3.

Chez l’Homme, la cystinurie est une maladie hétérogène qui peut avoir une origine génétique ; il en existe alors trois types. Il semble qu’il en soit de même chez le chien.
Chez le Terre Neuve, la transmission est autosomale récessive. La mutation concerne le gène SLC3A1. Ceci correspond à la cystinurie de type A chez l’Homme. Un test génétique existe et est facilement accessible en pratique vétérinaire (www.antagene.com).
En ce qui concerne les autres races, l’anomalie génétique n’a pas encore été identifiée3, 4.

Les chiens mâles étant les plus souvent concernés, le risque d’obstruction urinaire est élevé lors de lithiase à cystine. Par conséquent, bien qu’un traitement médical visant à dissoudre ces calculs existe, le traitement chirurgical est souvent préféré.
Dans les mois qui suivent la chirurgie, le risque de récidive est élevé sans que l’on ne puisse donner de valeurs précises.
Des mesures préventives sont donc primordiales. Communes à toutes les lithiases, la dilution des urines (alimentation humide par exemple) et les mictions fréquentes (nombreuses sorties) sont bénéfiques.
Le régime de ces animaux doit être contrôlé1. Les caractéristiques suivantes sont conseillées :

  • restriction protéique modérée : elle est susceptible de faire diminuer la cystinurie d’environ 20% (probablement par diminution du taux de précurseur en cystine)
  • restriction sodée : au niveau tubulaire existe une réabsorption conjointe de cystine et de sodium. En diminuant le taux de sodium dans l’aliment, sa réabsorption et donc conjointement celle de cystine sont donc accrues.

En plus de mesures hygiéniques et diététiques, les bénéfices de la tiopronine sont désormais reconnus3.
En convertissant la cystine en une molécule plus soluble dans les urines, la tiopronine retarde la survenue des récidives de manière significative (8 mois en moyenne sans tiopronine contre 18 mois avec). Utilisée en prévention, la dose recommandée est de 15 mg/kg matin et soir.
Chez les chiens de petite taille, un reconditionnement est parfois nécessaire, sinon, une prise quotidienne de 30 mg/kg est néanmoins envisageable.
En cas de récidive, la tiopronine peut permettre la dissolution des calculs. La posologie doit alors être augmentée à 40 mg/kg/j. La dissolution survient en moyenne après 1 à 3 mois chez 60% des animaux3.
Des effets secondaires sont possibles, il s’agit le plus souvent d’une agressivité ou d’une polymyosite. Chez l’Homme, une protéinurie a été décrite. Ces effets secondaires surviennent en général dans les 6 mois qui suivent la mise en place du traitement. Ils concernent environ 15% des animaux et semblent pour la majorité disparaître lors de la diminution de dose.

L’utilisation de tiopronine n’a bien sur d’intérêt que chez les animaux présentant encore une cystinurie significative au moment du diagnostic de lithiase. En effet il semble qu’à ce moment, certains chiens ne présentent plus de cystinurie significative, celle-ci ayant probablement du être transitoire. Le dosage quantitatif ou qualitatif de cystine urinaire étant impossible en pratique, l’utilisation de tiopronine est donc recommandée chez tous les animaux présentant des calculs de cystine.

Toute nature de calcul confondue, environ 55% des chiens avec une urolithiase vésicale et/ou urétrale présentent une infection du bas appareil urinaire. Il est donc important de la diagnostiquer pour correctement la traiter.

En cas d’examen bactériologique négatif sur urine prélevée par cystocentèse, il est désormais recommandé de réaliser également une bactériologie sur un calcul et sur une biopsie de muqueuse vésicale. Il est ainsi possible de diagnostiquer environ 25% d’infection du bas appareil urinaire supplémentaire.
En revanche, lors de bactériologie positive sur urine, multiplier les prélèvements n’a pas d’intérêt dans la mesure où ils ne seront pas plus informatifs1, 5.

À ce jour, les techniques de retrait des calculs sont nombreuses : lithotripsie, cystotomie ou cœlioscopie. Bien que cette dernière présente probablement des avantages (réalisation un examen urétral…), la supériorité d’une technique par rapport à une autre n’est pas encore connue et le choix d’une méthode est souvent dicté par son accessibilité. La cystotomie garde donc à ce jour tout son intérêt dans le traitement des calculs chez le chien et le chat. Comme toutes les autres techniques, le risque de retrait incomplet existe. Certaines précautions d’ailleurs communes à la cœlioscopie doivent donc être prises pour minimiser ce risque : rinçage vésical abondant, réalisation d’une radiographie post-opératoire avec ou sans produit de contraste6

Conclusion

Bien que peu fréquentes en médecine canine, les urolithiases restent un défi thérapeutique. En effet, malgré le respect des mesures préventives, les récidives sont fréquentes et ce quel que soit la nature de la lithiase.

Photo 1

Photo 1

Coupe longitudinale de la vessie montrant un calcul vésical.
Aucun cône d’ombre n’est observé du fait de la petite taille du calcul.

Photo 2

Photo 2

Coupe transversale de la prostate, absence d’anomalie.

Photo 3

Photo 3

Radiographie de profil de l’abdomen caudal sans produit de contraste.
Notez la présence de calculs radio-opaques dans la vessie et dans l’urètre, juste en avant de l’os pénien.

Photo 4

Photo 4

Cystoscopie par abord trans-abdominal.
Visualisation des calculs vésicaux qui sont retirés à l’aide d’une pince.

Photo 5

Photo 5

Cystoscopie par abord trans-abdominal.
Retrait sous contrôle cœlioscopique d’un calcul urétral.

Bibliographie

  1. Ettinger S and Feldman E. Textbook of veterinary internal medicine, 7th edition, 2010, WB Saunders Edition
  2. Low W, Uhl J, Kass P, Ruby A and Westropp J. Evaluation of trends in urolith composition and characteristics of dogs with urolithiasis : 25 499 cases (1985-2006), J Am Vet Med Assoc 2010, 236 : 193-200
  3. Hoppe A and Denneberg T. Cystinuria in the dog : clinical studies during 14 years of medical treatment, J Vet Intern Med, 2001, 15 : 361-367
  4. Bannasch D and Henthorn P. Changing paradigms in diganosis of inherited defects associated with urolithiasis, Vet Clin North Am Small Anim Pract, 2009, 39 : 111-125
  5. Gatoria I, Saini N, Rai T and Dwivedi P. Comparison of three techniques for the diagnosis of urinary tract infections in dogs with urolithiasis, J Small Anim Pract, 2006, 47 : 727-732
  6. Grant C, Harper T and Werre S. Frequency of incomplete urolith removal, complications, and diagnostic imaging following cystotomy for removal of uroliths from the lower urinary tract in dogs : 128 cases (1994-2006), J Am Vet Med Assoc, 2010, 236 : 763-766