Carcinome épidermoïde de l’extrémité rostrale du septum nasal

  • Chez le chien, les tumeurs de la truffe sont rares. La plus fréquente est le carcinome épidermoïde, localement agressif mais présentant un taux métastatique faible. 

Auteurs : Drs. M. Tempier et É. Bomassi 19-07-2019
Centre Hospitalier Vétérinaire des Cordeliers, 29-35 avenue du Maréchal Joffre, 77100 Meaux.
E-mail : ebomassi@chvcordeliers.com
Cet article a été publié dans : L’Essentiel (2019) : p 172-175


Article réalisé dans le cadre de l’apprentissage pratique du programme de l’Internship des CHV, avec le partenariat de Boehringer Ingelheim, Zoetis, Hill’s, SantéVet et Vetoquinol.

Carcinome épidermoïde de l’extrémité rostrale du septum nasal

Traitement chirurgical

Nous décrivons ici une rhinotomie rostro-latérale pour l’excision complète de la tumeur.

L’intérêt est d’obtenir un résultat clinique et esthétique très satisfaisant et d’éviter l’ablation totale de la truffe.

Un chien, croisé golden retriever mâle entier de 12 ans, est présenté pour des éternuements depuis 3 semaines ainsi qu’une discrète épistaxis latéralisée à gauche. De rares ronflements ainsi que des épisodes de toux quinteuse et expectorante sont décrits. Une perte de poids et une dysorexie sont également rapportées.

Examen clinique

L’examen clinique général met en évidence une masse à l’entrée de la narine gauche associée à une épistaxis et une discrète maladie parodontale

Hypothèses diagnostiques

L’association de l’épistaxis unilatérale gauche et des éternuements évoque en premier lieu une cause locale telle qu’une néoplasie, un corps étranger, une rhinite (bactérienne, fongique ou idiopathique), une coagulopathie, un traumatisme ou une affection dentaire.

En ce qui concerne les épisodes de toux, une paralysie laryngée ou une tumeur sont suspectées tandis qu’une origine infectieuse ou cardiogénique semble peu probable.

Examens complémentaires

Les analyses sanguines effectuées (numération formule, biochimie standard, ionogramme et temps de coagulation) sont dans les normes usuelles et excluent un désordre métabolique.

Un examen tomodensitométrique de la tête est réalisé sous anesthésie générale. À l’induction, l’examen laryngé révèle une motricité diminuée à gauche. Le scanner met en évidence la présence d’une masse sur l’extrémité rostrale du septum nasal gauche. Elle mesure environ 6,2 mm d’épaisseur, 18,5 mm de hauteur et s’étend sur 21,4 mm de longueur (Fig. 1 et 2).

De rares sécrétions sont présentes dans la portion rostrale de la cavité nasale droite, mais aucune lyse osseuse n’est visible. Les nœuds lymphatiques locorégionaux (mandibulaires et rétropharyngiens) sont de taille et de forme normales.

L’examen tomodensitométrique est étendu à l’étage thoracique et ne révèle aucune anomalie.

Des biopsies avec un pistolet automatique à biopsie (Trucut®) de la masse ainsi que de la muqueuse nasale droite sont réalisées et envoyées en laboratoire. L’examen histopathologique (coloration standard à l’Hémalun-ÉosineSafran) est compatible avec un carcinome épidermoïde cutané moyennement différencié. Une rhinite lymphoplasmocytaire et hyperplasique subaiguë à chronique, modérée, dépourvue de spécificité est décrite à droite.

Le bilan d’extension étant négatif et les carcinomes épidermoïdes métastasant tardivement, une chirurgie curative peut être envisagée. À cette localisation, ceci est généralement obtenu par une ablation complète de la truffe. La localisation sur l’extrémité rostrale du septum nasal et l’âge avancé du chien autorisent dans ce cas à pratiquer une chirurgie « moins invasive » en espérant pouvoir obtenir une guérison clinique : une rhinotomie rostro-latérale.

Prise en charge chirurgicale

Le chien est prémédiqué avec du chlorhydrate de morphine à 0,1 mg/kg et du midazolam à 0,2 mg/kg puis il est induit au propofol à 4 mg/kg par voie intraveineuse. Il est maintenu par anesthésie volatile à l’Isoflurane.

L’intervention chirurgicale consiste en une rhinotomie rostrale puis latérale permettant l’excision de la masse.

Le chien est placé en décubitus sternal (Fig. 3).

Une incision horizontale au bistouri électrique est réalisée rostralement au niveau du planum nasale (Fig. 4),

puis une incision du cartilage alaire gauche est effectuée de la commissure latérale en direction dorso-caudal sur 4 cm (Fig. 5).

Une fois incisés, les tissus sont rétractés dorsalement à l’aide de monofilaments afin d’exposer le vestibule nasal et de visualiser la masse sur le septum (Fig. 6).

Elle est retirée à l’aide d’un bistouri électrique avec 5 mm de marges chirurgicales, tout autour. Une fois la masse retirée, les tissus cicatrisent par seconde intention (Fig. 7).

Le cartilage alaire ainsi que le planum nasale sont suturés en trois couches, la muqueuse nasale par un surjet simple avec un monofilament résorbable (PDSII4-0), le tissu sous-cutané par un surjet simple avec le même matériel et un surjet cutané est réalisé avec un monofilament non résorbable (fildenylon).

La réduction anatomique et le résultat esthétique postopératoire sont très satisfaisants (Fig. 8)

L’analyse histologique de la masse confirme le carcinome épidermoïde, une tumeur maligne peu différenciée, dégrade élevé et se développant à partir du revêtement malpighien au niveau du septum nasal. Les marges chirurgicales analysées sont considérées comme étroites mais saines.

Suivi clinique

Le chien est hospitalisé pendant 24 heures sous analgésiques, antibiotiques et anti-inflammatoires. Il présente une discrète épistaxis et s’alimente rapidement 12 heures après l’intervention. Un traitement médical est mis en place à domicile avec du tramadol, de la céfalexine et du méloxicam pendant 1 semaine. Le port de la collerette est indiqué pendant minimum 15 jours. Il retrouve rapidement un bon état général.

Des contrôles à 5 et 15 jours sont effectués, les plaies sont propres et en cours de cicatrisation. Une démarcation rose pâle à 15 jours est encore présente au niveau de la cicatrice du planum nasale (Fig. 9).

Un examen otoscopique et tomodensitométrique de la tête et du thorax sous sédation sont réalisés 4 mois après l’intervention. Aucun signe de récidive n’est observé au niveau de la truffe et le parenchyme pulmonaire ne montre aucune anomalie. Les nœuds lymphatiques locorégionaux sont normaux. L’aspect esthétique et fonctionnel est excellent, aucune gêne respiratoire n’est notée (Fig. 10).

Au moment de la publication de cet article un contrôle téléphonique a été effectué et aucune anomalie clinique n’est rapportée après 5 mois postopératoires.

Discussion

Les tumeurs du planum nasale et de l’extrémité rostrale du septum nasal sont rares chez le chien et relativement fréquentes chez le chat. Le carcinome épidermoïde est le plus souvent signalé contrairement aux tumeurs nasales dont l’adénocarcinome est le plus commun. Son développement est corrélé avec l’exposition aux rayons ultra-violets et un manque de pigmentation cutanée 4, 9. Chez le chien, il provient le plus souvent de la muqueuse de la narine ou de la superficie du planum nasale 9.

Il n’y a pas de population définie pour le carcinome épidermoïde de la truffe mais l’âge moyen des chiens semble être d’environ 10 ans, avec une prédilection pour les races dolichocéphales (labrador, golden retriever majoritairement, etc.) 1, 4, 5, 8.

Cette tumeur épithéliale est de forte malignité, localement très invasive, infiltrante, de croissance lente, avec un risque de récidive locale non négligeable. Elle possède un pouvoir métastatique tardif, régional ou systémique faible (nœuds lymphatiques régionaux et poumons), généralement associé aux grades les plus élevés et peu différenciés comme le type observé ici 9.

Son diagnostic est aisé grâce à sa localisation anatomique, contrairement aux tumeurs nasales proches de la lame criblée. Un examen otoscopique ou endoscopique de la truffe peut être effectué mais l’examen tomodensitométrique reste l’examen incontournable afin de délimiter la masse et d’effectuer le bilan d’extension 9. Les radiographies sont certes moins invasives mais sont moins sensibles à la détection de métastases 6.

Par la suite, le diagnostic définitif s’obtient par la réalisation de biopsies. Certaines études effectuent également une analyse cytologique ou histologique des nœuds lymphatiques régionaux 1, 4. Le taux de plaquettes sanguines et les temps de coagulation sont essentiels avant de réaliser la chirurgie et de prévenir les complications possibles liées au saignement intraopératoire 8.

Les tumeurs de la truffe s’étendant vers le plancher nasal, nécessitent un traitement agressif (prémaxillectomie) afin d’obtenir des marges larges et saines.

Les tumeurs infiltrant la superficie du planum nasale sont candidates à la réalisation d’une ablation complète de la truffe avec ou sans prémaxillectomie 1, 3, 4. Dans ce cas, l’ablation de la truffe est suivie d’un avancement et d’une rotation des lambeaux labiaux bilatéraux permettant la création d’un bourrelet muco-cutané au dessus des cornets nasaux. Leur exposition à l’extérieur est ainsi diminuée. Cependant,les propriétaires restent réticents face à ce type de chirurgie, considérant le résultat comme une défiguration pour l’animal 1, 3, 4, 8.

Une méthode alternative peut être proposée dans notre cas précis. Jusqu’à présent, une seule étude portée sur dix chiens décrit la combinaison de deux techniques chirurgicales dans laquelle l’ablation complète de la truffe est évitée 8. Une rhinotomie latérale a été décrite par Hedlund pour donner accès au vestibule nasal mais, rend difficile l’accès rostral de la cavité nasale 2. Lorsque celle-ci est combinée avec l’élévation du planum nasale décrite par Pavletic, cette nouvelle approche chirurgicale permet de visualiser entièrement l’extrémité rostrale du septum nasal. Après exérèse de la tumeur, le résultat esthétique est très satisfaisant 7, 8. En ce qui concerne les marges chirurgicales, il est recommandé qu’elles soient supérieures à 5mm.

Le taux de complication est très faible et principalement constitué de déhiscence de plaies. Une déviation ventrale de la truffe et une discrète épistaxis peuvent être observées jusqu’à trois jours après la chirurgie 8.
Cette chirurgie peut être curative avec un taux de guérison à long terme avec des marges saines de 75 %. Le taux de survie supérieur à 12 mois est estimé à 60 % et supérieur à 24 mois à 30 %. Cependant, le taux de récidives avec des marges incomplètes est de 100 % et généralement observées entre 2 et 6 mois postopératoires. La médiane de survie est alors estimée de 4 à 12 mois 8.

Il y a peu d’information disponible pour le pronostic de cette néoplasie chez le chien. Le pronostic semble dépendre principalement de la localisation, du stade clinique (classification TNM) et dans une moindre importance du grade histologique. En effet, il semble être plus favorable avec une tumeur de petite taille et des marges chirurgicales saines 1, 4, 8.

Lorsqu’une atteinte des nœuds lymphatiques est observée, ce facteur pronostic négatif est associé à un temps de survie après excision de la tumeur, lymphadénectomie et chimiothérapie de 4 mois (carboplatine) pouvant atteindre 12 mois 1, 8.

Parmi les traitements adjuvants, ceux réalisés par chimiothérapie intralésionnelle ou radiothérapie ont été envisagés de manière palliative afin d’améliorer le contrôle tumoral 4, 9.
L’efficacité de la radiothérapie pour les tumeurs du septum nasal est peu investiguée chez le chien et ne semble pas apporter des résultats satisfaisants. La radiothérapie après une excision incomplète des carcinomes épidermoïdes du planum nasale est associé à un court temps de survie médian estimé à 3 mois et demi avec des effets secondaires 4. De même, en fonction des bilans d’extension, une chimiothérapie systémique (dérivés du platine notamment) peut être envisagée mais de nombreuses récidives sont observées chez le chien 4, 9. Une étude récente portée sur des carcinomes épidermoïdes de l’extrémité rostrale du septum nasal chez 10 chiens traités par une ablation au laser CO2 puis par cryochirurgie, apermis une excellente évolution esthétique et palliative avec un temps de survie supérieur à 8 mois, mais d’autres études sont nécessaires pour une standardisation de la procédure 5.

Cet article met en avant un nouveau cas de rhinotomie rostro-latérale. Il s’appuie sur la série de dix cas de l’étude de TerHaaret al., en 2015. Cette intervention chirurgicale propose des résultats esthétiques et cliniques très satisfaisants,tout en évitant l’ablation totale de la truffe chez le chien.

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