Épulis acanthomateux : Traitement par ostectomie radiale
Sommaire
- Les épulis, au sens large, sont des tumeurs odontogéniques dont la classification histologique est relativement complexe. Ces lésions ne métastasent que très rarement, mais elles récidivent volontiers localement.
Auteur : Dr. S. Etchépareborde 13-09-2013
Centre Hospitalier Vétérinaire des Cordeliers, 29 avenue du Maréchal Joffre, 77100 Meaux.
E-mail : setchepareborde@chvcordeliers.com
Épulis acanthomateux
Traitement par ostectomie radiale
Nous illustrons ici, par un cas clinique, l’attitude diagnostique et thérapeutique qu’il convient d’adopter face à de telles tumeurs qui nécessitent une exérèse large.
Un labrador mâle de 9 ans est présenté chez son vétérinaire car la propriétaire, attentive, a remarqué une masse sur la face linguale de la gencive mandibulaire gauche en regard de la carnassière. La masse est décrite par son vétérinaire comme un tissu bourgeonnant s’étendant de la carnassière à la deuxième molaire. Le tissu anormal a été excisé dans un premier temps et soumis au laboratoire pour une analyse histopathologique.
À ce stade, le diagnostic différentiel est le suivant :
- Hyperplasie gingivale
- Épulis fibromateux
- Épulis acanthomateux
- Autres tumeurs odontogéniques
- Tumeurs les plus fréquentes de la bouche : carcinome épidermoïde, mélanome, fibrosarcome Le diagnostic est celui d’améloblastome acanthomateux
Le cas nous a alors été référé. Lors de sa consultation, trois semaines après la première excision, l’examen de la bouche sous anesthésie générale révélait à nouveau la présence d’un tissu bourgeonnant sur la face linguale de la gencive en regard de la carnassière (photo 1).
L’améloblastome acanthomateux étant une tumeur localement agressive, un bilan d’extension par scanner a été réalisé.
Le scanner a révélé la présence d’une lyse osseuse de l’os alvéolaire mandibulaire s’étendant de la racine dorsale de la carnassière jusqu’à la racine caudale de la deuxième prémolaire (photos 2 à 6).
Une exérèse avec un centimètre de marge a été planifiée sur la base du tissu osseux anormal vu au scanner.
Le chien a été placé en décubitus latéral droit (côté sain). La peau a été tondue autour des babines sur 5 cm de large puis un nettoyage de la zone (bouche y compris) a été réalisé.
Des champs stériles ont été placés sous la tête de l’animal puis autour de la bouche a la jonction cutanéomuqueuse. Un aide opératoire rétractait la commissure des lèvres avec des écarteurs de Faraboeuf ce qui donnait un accès suffisant à la mandibule sans incision des babines (photo 7).
De part et d’autre des dents, la muqueuse a été incisée puis réclinée à l’aide d’un élévateur de périoste. Le bistouri n’a pas été utilisé pour éviter tout risque accru de déhiscence ou d’infection. Puis une scie radiale de diamètre 48 mm (taille nécessaire mesurée sur le scanner avant la chirurgie) a été utilisée pour réaliser une ostectomie mandibulaire en laissant le bord ventral de la mandibule intact.
La dernière prémolaire et toutes les molaires étaient incluses dans l’ostectomie afin de s’assurer un centimètre de marge par rapport aux lésions osseuses (photo 8).
L’ostectomie allait en profondeur jusqu’au canal mandibulaire (photos 9 à 12).
Pour la fermeture, les muqueuses précédemment élevées ont été refermées en deux plans, par des surjets simples de PDS 3-0 (photo 13).
Les babines n’étant pas incisées et le bord ventral de la mandibule intact, il n’y a aucun signe extérieur de la chirurgie en postopératoire (sauf la tonte !) (photo 14).
Dès le soir même, le chien mangeait de la nourriture sous forme de pâtée sans problème. Il est reparti chez lui sous antibiotiques, AINS et tramadol. L’histopathologie a confirmé que l’exérèse était complète.
Les épulis sont relativement fréquents chez le chien mais rares chez le chat. Ils font partie des tumeurs ondotogéniques, c’est-à-dire qui ont pour origine les tissus ectodermiques, ectomésenchymateux et mésenchymateux de la dent en formation. Leur différentiation au niveau histologique n’étant pas facile, leur classification n’est pas claire.
Au-delà des hyperplasies locales fibreuses (non cancéreuses), on distingue deux types d’épulis : l’épulis fibromateux rebaptisé fibrome ondotogénique périphérique et l’épulis acanthomateux rebaptisé améloblastome acanthomateux canin [1]. Un épulis ossifiant a été décrit historiquement mais certaines études ont montré qu’il faisait partie de la famille des épulis fibromateux. Il existe d’autres tumeurs odontogéniques plus rare telles que l’ondotome, le carcinome ondotogénique, les tumeurs odontogéniques produisant de l’amyloïde…
Les améloblastomes acanthomateux sont surreprésentés chez les golden retrievers, les Akitas, les cockers spaniels et les Shetlands. Il ne semble pas y avoir de prédisposition sexuelle.
La répartition de ces tumeurs est représentée photo 15.
Elle est à comparer aux distributions des épulis fibromateux et hyperplasie gingivale montrées photos 16 et 17.
Photo 1
Photographie de la tumeur, trois semaines après la première exérèse.
Photo 2
Reconstruction en 3D montrant la lyse osseuse de la mandibule s’étendant de la carnassière à la deuxième molaire.
Photo 3
Reconstruction en 3D montrant la lyse osseuse de la mandibule s’étendant de la carnassière à la deuxième molaire.
Photo 4
L’examen tomodensitométrique permet de visualiser l’extension de la tumeur dans les tissus mous (flèche verte).
Photo 5
La lyse osseuse de la mandibule commence sous la couronne dentaire de la racine rostrale de la carnassière.
Photo 6
La lyse osseuse est visible au niveau de la deuxième molaire.
Photo 7
La rétraction des babines par un assistant permet un accès à la partie caudale de la mandibule. La gencive a été incisée et élevée de l’os.
Photo 8
La scie radiale est utilisée pour l’ostectomie.
Photo 9
La dernière prémolaire et toutes les molaires ont été retirées avec l’ostectomie.
Celle-ci s’étend jusqu’au canal mandibulaire.
Photo 10
Coupe transverse de l’image tomodensitométrique postopératoire montrant le canal mandibulaire ouvert.
Photo 11
Coupe sagittale de l’image tomodensitométrique postopératoire montrant l’étendue de l’ostectomie.
Photo 12
Reconstruction en 3D du crâne en postopératoire.
L’ostectomie n’ayant pas créé de discontinuité entre la partie articulaire de la mandibule et la symphyse, il n’y a aucune malocclusion.
Photo 13
Photographie à la fin de la chirurgie montrant le surjet superficiel
Photo 14
Les babines n’étant pas incisées pendant la chirurgie, il n’y a aucun signe extérieur visible.
Photo 15
Répartition des ameloblastomes acanthomateux canins.
Photo 16
Répartition des hyperplasies gingivales.
Photo 17
Répartition des épulis fibromateux.
Ces tumeurs sont agressives localement mais ne métastasent pas. Le taux de récidive après ostectomie ne dépasse pas les 5 %. Une marge de 1 cm est recommandée en général. Une ostectomie segmentaire classique qui laisse la symphyse en place ainsi que la partie la plus caudale de la mandibule est une chirurgie invasive associée avec une malocclusion après la chirurgie.
De plus, le défaut osseux créé étant large en général, on est au-dessus de la largeur critique permettant la cicatrisation osseuse avec une simple stabilisation. Il faut donc utiliser des greffes osseuses ou du BMP-2 lorsque l’on envisage une reconstruction.
L’avantage de l’ostectomie partielle est de préserver une occlusion parfaite. Cette ostectomie peut se réaliser avec une scie normale mais elle nécessite alors plusieurs traits de coupe avec le risque de couper trop bas et de fragiliser la mandibule jusqu’à la fracture.
De plus, à chaque intersection de trait de coupe, le changement brutal d’angulation créé un point de faiblesse au niveau duquel un stress important se concentre pouvant aussi être la cause de fracture [2]. L’avantage de la scie radiale est donc de pouvoir réaliser l’ostectomie en une seule coupe, sans créer de points de stress particulier.
Cette scie, habituellement utilisée pour la TPLO dans le cas de ligaments croisés, à l’avantage de se décliner en plusieurs tailles et on peut donc adapter le diamètre de la scie au chien en fonction de sa taille et de la taille de la tumeur à enlever. On ne peut cependant pas traiter de cette façon des tumeurs agressives avec une invasion du canal mandibulaire. Les épulis acanthomateux sont donc la principale indication de ce type de chirurgie.
Bibliographie
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