Fragmentation du processus coronoïde

Traitement par arthroscopie

La fragmentation du processus coronoïde est une affection survenant plus volontiers chez les chiens de grand format, et plus particulièrement chez le rotwweiler et le bouvier bernois. Avant toute décision chirurgicale, un bilan lésionnel très précis doit être réalisé. Par la suite, des techniques récentes comme l’arthroscopie permettent d’intervenir de manière la moins invasive possible.


Auteur: Dr. Stéphane Libermann . 28-01-2011
Centre Hospitalier Vétérinaire des Cordeliers, 
29 avenue du Maréchal Joffre, 77100 Meaux.
E-mail: slibermann@chvcordeliers.com
Cet article a été publié dans : L’Essentiel: p 51-54


Un chien bouvier bernois mâle de 11 mois est référé pour exploration d’une boiterie de l’antérieur droit évoluant depuis 2 mois et ne rétrocédant que partiellement aux traitements antalgiques usuels. Aucun traumatisme n’est rapporté.

La boiterie est importante à froid, elle est diminuée mais constante à chaud.

L’examen clinique et l’examen neurologique ne montrent aucune anomalie.

Examen orthopédique

Photo 1 - Noter la position en rotation externe du membre.

Photo 1 - Noter la position en rotation externe du membre.

Photo 2 - Sensibilité à la pression sur le ligament collatéral médiaL.

Photo 2 - Sensibilité à la pression sur le ligament collatéral médiaL.

Photo 3 - Pronation forcée.

Photo 3 - Pronation forcée.

Examen à distance

Le membre est porté à l’arrêt en rotation externe et en abduction (Photo 1).

Le chien soulage constamment l’appui.

Examen rapproché

Une asymétrie des masses musculaires entre les deux membres caractérise une amyotrophie à droite en rapport avec la diminution chronique de mise en charge de ce côté. Un gonflement synovial est palpable dans le compartiment médial du coude.

Palpation pression

La pression exercée sur le ligament collatéral médial du coude produit une réaction de défense (Photo 2).

Positions en contrainte

L’extension du coude est douloureuse : la douleur limite

l’extension de 5 à 10° en comparaison avec l’autre membre.

La pronation forcée (Photo 3) est particulièrement mal tolérée. Cette position permet la mise en tension isolée du ligament collatéral médial du coude. Elle est réalisée en maintenant une flexion à 90° du coude et du carpe puis en tournant la main vers l’extérieur. La limite d’amplitude sur un animal normal est d’environ 45°. Il n’est pas noté d’augmentation d’amplitude dans le cas présenté.

Aucune autre anomalie orthopédique n’est constatée.

Bilan orthopédique

L’extension douloureuse du coude nous oriente vers une origine articulaire, mais elle n’est spécifique d’aucun type de lésion.

Le port du membre en abduction est lui plus caractéristique d’une atteinte du compartiment médial : il permet lors de la mise en charge de « faire bailler » l’articulation huméro-ulnaire en reportant les forces de pression sur le compartiment latéral.

La pronation douloureuse (ligament collatéral médial) et le gonflement articulaire médial confirment cette hypothèse.

Diagnostic différentiel

Le compartiment médial est composé de l’articulation entre le condyle huméral médial et le processus coronoïde médial ulnaire, stabilisée par le ligament collatéral médial, la capsule articulaire ainsi que les muscles fléchisseurs insérés sur l’épicondyle huméral médial. 

Le diagnostic différentiel intègre donc les lésions possibles de ces structures :

  • osseuses : fractures parcellaires articulaires, fissures
  • cartilagineuses : ostéochondrose, ostéochondrites
  • ligamentaires : entorse de degré 1, 2 ou 3 avec ou sans avulsion
  • synovite, arthrite
  • tendinites.

Néanmoins, le jeune âge du chien, l’absence de traumatisme rapporté, l’absence d’instabilité articulaire et l’évolution chronique tendant à une aggravation sont
en faveur d’une anomalie articulaire congénitale. La fréquence des dysplasies du coude chez le bouvier bernois et en particulier de la fragmentation du processus
coronoïde nous conduit à explorer en priorité cette hypothèse.

Examens complémentaires

Photo 4 - Radiographies du coude de profil. Noter la présence de signes d’une dégénérescence arthrosique.

Photo 4 - Radiographies du coude de profil. Noter la présence de signes d’une dégénérescence arthrosique.

Photo 5 - Radiographies du coude de face et oblique. Identifications d’un fragment médial et de lésions du condyle huméral.

Photo 5 - Radiographies du coude de face et oblique. Identifications d’un fragment médial et de lésions du condyle huméral.

Photo 6 - Confirmation tomodensitométrique de la fragmentation du PCM.

Photo 6 - Confirmation tomodensitométrique de la fragmentation du PCM.

Photo 7 - Réalisation pratique d’une arthroscopie du coude.

Photo 7 - Réalisation pratique d’une arthroscopie du coude.

Radiographie

Des radiographies sont réalisées sous anesthésie générale afin d’obtenir des images dont le positionnement est rigoureux. 4 vues standards sont réalisées : incidences de profil en extension et en flexion (photo 4), incidences de face et de face en rotation interne de 30° (Photo 5).

Sur les images de profil, une dégénérescence arthrosique sévère est constatée : sclérose osseuse sur l’aire de projection du processus coronoïde médial (flèche longue) et ostéophytose à la base du processus anconé (flèche courte). Sur les images de face, un fragment osseux semble libre dans le compartiment articulaire médial (flèche longue), le condyle huméral est irrégulier (flèche courte).

Ces images sont en faveur d’une fragmentation du processus coronoïde médial associée à des lésions de projection (kissing lésion) en regard sur le condyle huméral médial.

Scanner

Un examen tomodensitométrique est ensuite pratiqué afin de mieux estimer le défaut de congruence articulaire et les lésions ostéo-cartilagineuses (Photo 6).

Il confirme une fragmentation complète du processus coronoïde (flèche), l’interligne radio- ulnaire est irrégulier.

Diagnostic

Il s’agît d’une dysplasie du coude associant une incongruence articulaire, des lésions d’ostéochondrose humérale et une fracture du processus coronoïde médial ulnaire.

Traitement

Photo 8 - Visualisation arthroscopique du fragment osseux.

Photo 8 - Visualisation arthroscopique du fragment osseux.

Photo 9 - Extraction du fragment osseux.

Photo 9 - Extraction du fragment osseux.

Photo 10 - Ablation du cartilage malade au shaver

Photo 10 - Ablation du cartilage malade au shaver

Photo 11 - Syndrome du compartiment médial : noter l’abrasion profondes de toutes les surfaces articulaires.

Photo 11 - Syndrome du compartiment médial : noter l’abrasion profondes de toutes les surfaces articulaires.

Un geste chirurgical est proposé afin de traiter les lésions cartilagineuses et de réaliser l’extraction du fragment libre dans l’articulation. L’incongruence
modérée, la correction de la morphologie de l’articulation n’est donc pas envisagée.

Afin de limiter les lésions induites par la voie d’abord chirurgicale qui majore de manière significative la synovite et qui génère des lésions de contiguïté du ligament collatéral médial, un abord arthroscopique est préféré.

Après induction anesthésique classique, un bloc régional est réalisé (injection traçante de Lidocaïne sousscapulaire afin d’anesthésier les nerfs issus du plexus brachial).

Le coude est préparé de manière aseptique puis drapé, une optique de 2,7 mm associée à une chemise incluant un canal d’irrigation sont introduites dans l’articulation 1 cm caudalement au ligament collatéral médial (Photo 7). Le grossissement ainsi que l’illumination apportée par l’optique permettent la réalisation d’un bilan lésionnel très précis.

Le fragment osseux est facilement visualisé, il est manipulé à l’aide d’un palpateur (Photo 8) afin de confirmer qu’il est libre de toute adhérence, puis une pince à préhension est introduite par une porte antérieure afin de le saisir et de l’extraire (Photo 9).

Le palpateur est ensuite utilisé pour tester la viabilité du cartilage entourant la lésion et couvrant le condyle huméral médial. Les zones anormales sont repérées par une absence d’élasticité, la pression à l’aide du palpateur laissant une marque définitive.

L’intégralité des lésions identifiées est réséquées à l’aide d’un shaver : l’utilisation d’une turbine associée à une aspiration continue permet l’ablation du cartilage jusqu’à mise à jour de la plaque osseuse sous-chondrale (Photo 10).

Cela permet à terme la couverture osseuse par un fibrocartilage cicatriciel dont les propriétés mécaniques seront supérieures au cartilage nécrotique retiré.

Les abords arthroscopiques sont refermés par un point (2 ouvertures de 3 mm), le rinçage per-opératoire représente un volume de 3 litres ce qui assure un lavage des médiateurs de l’inflammation présents dans l’articulation.
La reprise d’appui est immédiate, un traitement associant des anti-inflammatoires (Rimadyl® 4 mg/kg) et des chondro-protecteurs (Fortiflex®) sont mis en place pour 1 et 6 mois. Le suivi montre une amélioration clinique rapide, une discrète gêne persiste ainsi qu’une rotation externe de la main à l’appui. Le pronostic à long terme reste réservé en raison des lésions arthrosiques avancées et surtout en raison de l’atteinte humérale (les ostéochondroses du condyle huméral médial sont des lésions toujours péjoratives de la récupération fonctionnelle).

Discussion

Dysplasie du coude et fragmentation du processus coronoïde

La fragmentation du processus coronoïde médial (FPCM) est une affection qui intéresse de jeunes chiens de grand format et en particulier Labradors, rottweilers et bouviers bernois1.

Son origine n’est pour l’instant pas encore complètement déterminée mais semble liée à un défaut de congruence articulaire. Une allométrie de croissance
radio-ulnaire peut favoriser de manière transitoire durant la croissance ou de manière définitive la formation d’une « marche d’escalier » entre les plans articulaires du radius avec le condyle huméral latéral et de l’ulna avec le condyle huméral médial.

Ce décalage peut augmenter les contraintes dues à la mise en charge sur une surface restreinte comme le processus coronoïde et favoriser l’apparition de lésions
micro-traumatiques.

En fonction de la gravité de ce traumatisme, ces lésions peuvent varier d’une ostéochondrose simple à une modification morphologique, des fissures ou des fractures d’un ou plusieurs fragments ostéo-cartilagineux2.

La modification morphologique du processus coronoïde peut à terme produire des lésions par frottement du condyle huméral médial intéressant uniquement le cartilage ou plus profonde en créant de véritables sillons dans l’os sous-chondral (Photo 11).

On parle alors de kissing lésion et de syndrome du compartiment médial ce qui conditionne un pronostic défavorable. 

La FPCM fait parties des maladies associées à la dysplasie du coude au même titre que la Non Union du Processus Anconé, des ostéochondroses humérales et
des incongruences au sens large. Elle produit une dégénérescence arthrosique rapide et évolutive quelque soit le traitement envisagé.

Un diagnostic difficile en raison des limites de l’imagerie

Le diagnostic de la FPCM reste délicat en raison de la faible sensibilité des examens d’imagerie disponibles.
La superposition systématique de plusieurs os dans chacune des incidences radiographiques usuelles (face, face en rotation interne 30°, profil et profil en flexion) peut rendre très difficile la visualisation de fragments de petite taille ou de simples fissures.

Chacune de ces incidences considérée séparément a une sensibilité mesurée entre 30 et 50 p.cent 3, ce qui explique la nécessité de réaliser systématiquement au moins 4 incidences différentes et de s’astreindre à obtenir des images de qualité optimale. Malgré cela, un certain nombre de chiens présenteront des lésions qui resteront invisibles radiographiquement3.

L’examen tomodensitométrique permet de s’affranchir des superpositions osseuses en réalisant des plans de coupe adaptés, néanmoins certaines lésions n’intéressant que le cartilage (ostéochondrose) ou des fissures de petite taille peuvent ne pas être identifiées4.

Pour les mêmes raisons, il permet une caractérisation plus précise de la congruence qu’un examen radiographique, mais le fait qu’il s’agisse d’un examen statique est limitant: le choix de l’opérateur de réaliser l’acquisition des images en extension ou en flexion peut sur ou sous-estimer la qualité mécanique de l’articulation.

Intérêts de l’arthroscopie face à la chirurgie conventionnelle

L’arthroscopie est considérée aujourd’hui comme l’examen de référence pour objectiver les lésions associées à la dysplasie du coude. La possibilité de mesurer la résistance mécanique et l’élasticité du cartilage par palpation per-opératoire associée au grossissement réalisé par l’optique permettent de mettre en évidence des lésions de très petite taille. Un tel bilan lésionnel est impossible en chirurgie conventionnelle : la voie d’abord étroite, le manque de lumière octroient une visualisation de très mauvaise qualité des surfaces articulaires5, 6, 7.

L’arthroscopie reste néanmoins un geste chirurgical même s’il est largement moins invasif qu’une arthrotomie et s’il est lié à une morbidité très faible. Il ne doit donc pas se substituer aux examens d’imagerie en première intension.

Elle permet en restant dans un cadre mini-invasif, le traitement de l’ensemble des lésions par résection des portions cartilagineuses endommagées en préservant toutes les zones intactes.

Lorsque l’incongruence articulaire est sévère et qu’elle gêne la mobilité, elle peut être corrigée. Plusieurs techniques ont été décrites utilisant des ostéotomies ulnaire ou radiale d’allongement. Elles sont associées à des greffes osseuses ou à la mise en place de fixateurs externes dynamiques.

Seul le syndrome du compartiment médial et la perte de substance du condyle huméral médial qui lui est associée reste d’un pronostic sombre. Néanmoins plusieurs techniques chirurgicales récentes (greffes ostéo-cartilagineuses, ostéotomie de glissement humérale, prothèse de coude8) permettent d’espérer des solutions plus satisfaisantes à terme.

Dans tous les cas, un traitement médical long visant à limiter les conséquences de l’arthrose (l’ankylose et la douleur) est nécessaire. Si l’amélioration clinique postopératoire est rapide, elle est rarement complète et peut évoluer de manière défavorable après quelques années.
Un nouvel examen arthroscopique peut alors être proposé afin de réaliser un parage et un lavage articulaire.

La physiothérapie permet de lutter contre l’ankylose du coude et d’améliorer sa biomécanique en reculant le moment où la boiterie deviendra invalidante.

Bibliographie

  1. Can owners and clinicians assess outcome in dogs with fragmented medial coronoid process. NJ Burton. Vet Comp Orthop Traumatol (2009) 22 ; 183-9.
  2. Radiographic and arthroscopic findings in elbow joints of 263 dogs with medial coronoïd disease. N Fitzpatrick. Vet Surg (2009) 38 ; 213-23.
  3. Arthroscopic documentation of elbow cartilage pathology in dogs with clinical lameness without changes of standard radiographic projections. JP Punke et al. Vet Surg (2009). 38 ; 209-12.
  4. Radiographic, computed tomographic, and arthroscopic evaluation of experimental radio-ulnar Incongruence in the dog. Kharma Wagner et al. Vet Surg 36:691–698, 2007.
  5. Arthroscopiscally assisted surgery of the elbow joint. Beale BS, Hulse DA, Schulz K, Whitney WO. Small Animal Arthroscopy. Philadelphia. WB Saunders, 2003 p 51-80.
  6. Arthrotomy versus arthroscopy in the treatment of the Fragmented Medial Coronoid Process of the Ulna (FMCP) in 421 Dogs. Meyer-lindenberg A et al. Vet Comp Orthop Traumatol 16:204–210, 2003.
  7. Bilateral shoulder and elbow arthroscopy in dogs with forelimb lameness : iagnostic findings and treatment outcomes. JL Cook et coll. Vet Surg (2009) 38 ; 224-232.
  8. Techniques of application and initial clinical experience with sliding humeral osteotomy for treatment of medial compartment disease of the canine elbow. Fitzpatrick N et al. Vet Surg 38:261–278, 2009.