La kétamine à faible dose
Sommaire
- La prise en charge de la douleur per-opératoire fait traditionnellement appel à des molécules analgésiques telles que les opioïdes, les anti-inflammatoires non stéroïdiens et les anesthésiques locaux. De nouvelles données, observées tant en médecine humaine qu’animale, ont clairement démontré que l’utilisation de certaines molécules pouvait se faire par le biais de nouveaux protocoles alliant une sécurité et une efficacité non négligeables 1.
Auteurs : Drs. Bille et Marel 15-09-2010
Centre Hospitalier Vétérinaire des Cordeliers, 29 avenue du Maréchal Joffre, 77100 Meaux.
E-mail : cbille@chvcordeliers.com
Cet article a été publié dans : L’Essentiel (2010) 184 : p 40-41
La kétamine à faible dose
pour compléter un protocole analgésique
- Plusieurs agents sont disponibles afin de soulager la douleur, selon sa cause et les spécificités propres à chaque patient. Aux opiacés s’ajoute toute une gamme de molécules : les anti-inflammatoires, les anticonvulsivants, les tranquillisants majeurs ou les corticoïdes. Une autre alternative semble prometteuse : les antagonistes des récepteurs de la N-méthyl-D-aspartate (NMDA).1 Plusieurs substances possèdent cette propriété dont le magnésium, la kétamine et l’amantadine.
- Les récepteurs NMDA jouent un rôle essentiel dans la transmission du message nociceptif dans la corne dorsale de la moelle épinière1. Le message nociceptif détecté en périphérie se prolonge vers les fibres ascendantes par deux types de fibres nociceptives : les fibres C, qui sont non myélinisées et à conduction lente, et les fibres Aδ, qui ont une mince couche de myéline. Lorsque les tissus sont intacts, elles ne sont pas stimulées.
Les lésions tissulaires et l’inflammation engendrent la production d’un grand nombre de médiateurs qui, directement ou indirectement, contribuent à la sensibilisation des fibres afférentes périphériques. L’influx se propage via les fibres C et Aδ jusqu’aux synapses de la corne dorsale de la moelle épinière où il y a libération de neurotransm metteurs excitateurs, dont le glutamate, qui se lient aux récepteurs de la NMDA.
Si ce phénomène persiste et s’amplifie par la sur-stimulation des récepteurs NMDA, cela peut mener secondairement à de l’allodynie (douleur causée par un stimulus normalement indolore) et de l’hyperalgésie (douleur exagérée à un stimulus à faible potentiel de douleur car les nocicepteurs deviennent sensibilisés et s’activent spontanément). Ce phénomène peut s’étendre aux tissus sains
environnants et causer une douleur secondaire. L’activation des récepteurs de la NMDA augmente donc la réponse au stimulus douloureux.
La kétamine a été synthétisée par Calvin Stevens en 1962. A des doses comprises entre 2 et 5 mg/kg, elle assure un état anesthésique qualifié d’anesthésie « dissociative ».
La molécule déprime les voies thalamo-néocorticales mais active le système limbique, et déconnecte les afférences affectives, émotionnelles qui composent la perception douloureuse.
La pharmacocinétique de la kétamine administrée par voie intraveineuse est rapide, le pic de concentration se situe surtout vers les organes très vascularisés. Elle possède une demi-vie de distribution de 5 à 7 min et une demi-vie d’élimination de quelques heures (1-2h) 1.
La kétamine est métabolisée essentiellement par le foie. Parmi ses métabolites, la norkétamine possède un tiers à un cinquième de la puissance anesthésique de la kétamine, et peut donc contribuer aux effets prolongés de celle-ci 1.
Les effets secondaires des faibles doses de kétamine sont très limités. La kétamine s’utilise associée à un dérivé morphinique. Elle possède un effet ortho-sympathicomimétique et permet de réduire les risques d’insuffisance cardiovasculaire 2.
Parallèlement on note une augmentation de la ventilation, de l’oxygénation, de l’hémodynamique et de la température 3,6. Ses effets sédatifs sont également modérés et, en tout état de cause, inférieurs à ceux obtenus avec les morphiniques.
La kétamine, en diminuant la consommation de morphiniques, semble pouvoir également réduire l’incidence des nausées et vomissements postopératoires.
Utilisation en chirurgie et au cours du réveil
Antalgique peu puissant utilisé isolément, il semble que la kétamine à faible dose (0,2 à 0,5 mg/kg) soit un adjuvant adéquat en association avec les morphiniques, les anesthésiques locaux ou autres antalgiques.
C’est une molécule intéressante à utiliser au sein d’une anesthésie balancée 4. Elle permet entre autre de diminuer les effets toxiques des autres anesthésiques, de diminuer le besoin en isoflurane de 17 % environ lors de l’anesthésie. Ces effets sont dose dépendants bien qu’il existe un plateau pour les concentrations supra cliniques 1.
La voie d’administration par perfusion continue en période per et post-opératoire semble être la voie la plus adéquate. Lors de chirurgie, l’association de morphine dosée à 0,1 ou 0,2 mg/kg avec de la kétamine permet de réduire l’intensité de la douleur post-opératoire et de l’hypersensibilité péri-cicatricielle 7.
Administration de kétamine à faible dose : mise en pratiqueLe vétérinaire dispose de plusieurs protocoles d’administration. Le choix du protocole s’effectue en fonction des moyens techniques disponibles.
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Néanmoins, la majorité des résultats cliniques sur l’évaluation de l’effet analgésique de la kétamine peropératoire montrent une action analgésique à distance de l’effet pharmacologique. Cet effet analgésique prolongé de la kétamine intraveineuse a été observé en chirurgie orthopédique, viscérale, chirurgie ambulatoire 1, 2, 5 ,7. Il semble donc que des doses aussi faibles que 0,15 mg/kg puissent diminuer la douleur post-opératoire ainsi que les consommations de morphine.
Dans aucune de ces études ces doses per-opératoires de kétamine n’induisent d’effets secondaires notables.
Au bilan l’administration de faibles doses de kétamine pré-opératoires (< 0,5 mg/kg) n’induit que peu d’effet secondaire et, en association avec de la morphine, permet une amélioration significative de l’analgésie postopératoire.
La kétamine en période péri-opératoire à faible dose peut donc être utilisée en association avec la morphine avec un impact clinique significatif, prolongé dans le temps avec un minimum d’effets secondaires.
Bibliographie
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