Persistance du canal artériel décompensée chez un chiot
Sommaire
- La persistance du canal artériel est l’une des affections cardiaques congénitales les plus fréquentes chez le chien. Elle est souvent diagnostiquée de manière fortuite chez des jeunes animaux en bon état clinique présentant un souffle cardiaque pathognomonique.
Auteurs : Drs. E. Bomassi et C. Wahl 07-09-20
Centre Hospitalier Vétérinaire des Cordeliers, 29-35 avenue du Maréchal Joffre, 77100 Meaux.
E-mail : ebomassi@chvcordeliers.com
Cet article a été publié dans : L’Essentiel : p 108-110
Internship
Article réalisé dans le cadre de l’apprentissage pratique du programme de l’Internship des CHV, avec le partenariat de Boehringer Ingelheim, Zoetis, Hill’s, SantéVet et Vetoquinol.
Persistance du canal artériel décompensée chez un chiot
Prise en charge thérapeutique
La persistance du canal artériel est l’une des affections cardiaques congénitales les plus fréquentes chez le chien.
Elle est souvent diagnostiquée de manière fortuite chez des jeunes animaux en bon état clinique présentant un souffle cardiaque pathognomonique.
Le cas étudié traite d’une persistance du canal artériel avec signes de décompensation cardiaque chez un chiot Berger Australien de 8 semaines.
Pipa, chiot berger australien femelle de huit semaines, est reçue en consultation d’urgences pour abattement, faiblesse, détresse respiratoire et ptyalisme, d’apparitions aiguës.
Pipa est plus petite que ses frères de portée. Un souffle cardiaque a été identifié de manière fortuite lors d’une consultation de routine cinq jours auparavant.
Examen clinique
À l’admission, l’état général de Pipa est caractérisé par un abattement marqué. Elle est en hypothermie (37,2 °C) et présente un ptyalisme.
Une cyanose des muqueuses est observée. Une tachycardie régulière est mise en évidence, associée à deux souffles cardiaques distincts : un souffle systolo-diastolique basal gauche de grade 5/6 et un souffle systolique apexien gauche de grade 4/6.
La courbe respiratoire est dominée par une dyspnée restrictive avec des crépitements pulmonaires audibles à l’auscultation.
Hypothèses diagnostiques
Le souffle cardiaque basal gauche systolo-diastolique est pathognomonique d’une persistance du canal artériel.
Une insuffisance mitrale (par dysplasie, incompétence valvulaire fonctionnelle ou endocardite), une anémie ou une hypoxie sont des causes possibles de la présence d’un souffle systolique apexien gauche de grade 4/6. Un souffle d’éjection systolique lié aux turbulences du flux sanguin dans les gros vaisseaux lors de la systole est parfois retrouvé chez le jeune animal.
La dyspnée restrictive associée aux crépitements pulmonaires est attribuée en priorité à un œdème pulmonaire.
Les hypothèses secondaires regroupent d’autres atteintes pulmonaires (bronchopneumonie, pneumonie, hémorragie pulmonaire) ou encore un épanchement pleural.
Compte tenu du contexte anamnesto-clinique, l’hypothèse retenue en priorité est une insuffisance cardiaque congestive gauche secondaire à une persistance du canal artériel.
Examens complémentaires
En raison de la détresse respiratoire marquée de Pipa, les fonctions vitales sont privilégiées et les examens complémentaires sont reportés jusqu’à stabilisation de l’animal.
Le traitement médical instauré en première intention comprend une oxygénothérapie permanente (cage à oxygène à 60 % de Fi02), l’administration de diurétiques de l’anse (Dimazon® : furosémide) en perfusion continue au débit de 1 mg/kg/h et l’administration de sédatifs (Torbugésic® : butorphanol) en bolus IV répétés de 0,2 mg/kg au besoin toutes les 2 heures.
Après 24h de réanimation médicale, la fonction respiratoire de Pipa est légèrement améliorée et permet la réalisation des premiers examens complémentaires avec précaution.
Un bilan sanguin hématologique et biochimique incluant les gaz sanguins veineux est réalisé (Tab. 1). Les principaux désordres métaboliques observés sont directement en lien avec l’hypoxie liée au statut cardio-respiratoire de l’animal, mais aussi aux effets secondaires attendus suite à l’administration de diurétiques de l’anse pendant les 24 premières heures d’hospitalisation.
Des radiographies thoraciques sont entreprises. L’incidence de face n’étant pas réalisable en raison d’une mauvaise tolérance en position de décubitus dorsal (cyanose des muqueuses, dyspnée), seule une incidence thoracique de profil est réalisée (Fig. 1).
Une cardiomégalie globale sévère est mise en évidence, associée à une dilatation des vaisseaux pulmonaires et une opacification pulmonaire alvéolaire marquée et diffuse. L’ensemble de ces images est compatible avec un œdème pulmonaire.
Une échocardiographie est réalisée. L’examen met en évidence une persistance du canal artériel large, demorphologie tubulaire (Fig. 2A) et de haute vélocité, avec des turbulences sanguines importantes dans le tronc pulmonaire (Fig. 2b).
Les dimensions ventriculaires gauches sont augmentées en diastole et en systole, et le rapport Ag/Ao est évalué à 1,9.
L’électrocardiogramme réalisé au cours de l’examen échocardiographique permet de diagnostiquer une tachycardie sinusale.
Diagnostic
Le diagnostic définitif est celui d’une persistance du canal artériel de type 3 selon Miller 1, de stade 3 à 4 selon Buchanan2 et de stade 3 selon Pouchelon 3 (Tab. 2).
Selon Buchanan2, l’intervention chirurgicale sur un animal présentant des signes de décompensation cardiaque sévère doit être reportée après une stabilisation médicale satisfaisante. L’intervention est ainsi contre-indiquée dans le cas de Pipa, et son pronostic est défavorable. Il est à noter que le pronostic vital en l’absence de prise en charge chirurgicale est également très sombre compte-tenu du contexte. Donc, quelle que soit la nature de la prise en charge, le pronostic est mauvais.
Traitement
Après 48 h de prise en charge médicale, Pipa présente toujours un mauvais état général. Son statut respiratoire est instable et l’œdème pulmonaire n’a pas rétrocédé.
Face à un échec thérapeutique au traitement médical instauré, et en considérant le pronostic sombre à court terme, une prise en charge chirurgicale est envisagée.
Une ligature du canal artériel est réalisée par thoracotomie intercostale, selon la technique décrite par Halfacree et Liptak 4. Au cours de la chirurgie, deux épisodes de fibrillation ventriculaire surviennent et sont résolus par massage cardiaque et défibrillation.
Suivi
Postopératoire immédiat
- Cliniquement, une amélioration de l’état général est observée dans les 24 premières heures.
- Un contrôle échographique réalisé 48 h après la chirurgie montre une nette amélioration des dimensions cavitaires, avec normalisation du rapport Ag/Ao (1,02). La ligature complète du canal est confirmée.
- Un contrôle radiographique de profil uniquement met en évidence une nette diminution des dimensions cardiaques, vasculaires, et de l’opacification alvéolaire pulmonaire.
- La lactatémie mesurée à nouveau à 24 h postopératoire est normalisée (1,43 mmol/l).
- Le traitement médical mis en place à la sortie d’hospitalisation comprend un traitement diurétique (Libéo® 10: furosémide) à raison de 0,8 mg/kg deux fois par jour, ainsi qu’un traitement inodilatateur (Vetmedin® 1,25 : pimobendane) à la dose de 0,1 mg/kg deux fois par jour.
15 jours postopératoire
- Pipa est revue en consultation de contrôle deux semaines après l’intervention chirurgicale. Elle présente un bon état général. Un souffle systolique apexien gauche résiduel de grade 1/6 est présent.
- Des radiographies thoraciques de contrôle révèlent une diminution de la taille de la silhouette cardiaque, associée à une normalisation des opacités pulmonaires.
- À l’examen échographique, les images sont normalisées.
- Seules une insuffisance mitrale, aortique et pulmonaire minimes persistent.
À ce stade, le pronostic est très favorable. Le traitement diurétique est stoppé. Le traitement inodilatateur est poursuivi pendant 7 jours à une dose moindre (0,1 mg/kg une fois par jour), puis il est également stoppé.
4 mois postopératoire
Des nouvelles ont été données par voie téléphonique. Pipa présente un bon état général et n’a aucun signe clinique résiduel lié à cette affection. Elle a repris une croissance normale depuis la chirurgie.
Discussion
Pathogénie – Épidémiologie
La persistance du canal artériel est l’affection cardiaque congénitale la plus fréquente chez le chien 2.
Cette dernière, caractérisée initialement par la présence d’un shunt gauche-droit, est responsable d’une surcharge en volume de l’oreillette gauche et du ventricule gauche. Ceci entraîne un remodelage cardiaque par hypertrophie excentrique, prédisposant le patient concerné au développement d’une insuffisance cardiaque congestive 5.
À ce stade, le risque de fibrillation atriale augmente. Une insuffisance cardiaque congestive se développe généralement entre l’âge d’une semaine et un an 6, et l’apparition des signes cliniques est davantage retardée lorsque le canal est de faible diamètre 2.
Certaines races sont sur-représentées dans cette affection (bichon frisé, chihuahua, caniche, berger allemand…) 5. Le berger australien n’en fait pas partie. Par ailleurs, la persistance du canal artériel est une maladie affectant majoritairement les femelles 6.
Classification – Décision chirurgicale
Les différents systèmes de classification établis permettent de caractériser le type de persistance de canal artériel en fonction de sa morphologie, de son aspect échographique et radiographique, mais aussi en fonction de la présentation clinique. Selon la classification de Buchanan2, basée sur la présentation clinique et radiographique de l’affection, le cas présenté se situe à l’intermédiaire entre les stades 3 et 4, le stade 4 correspondant à l’évolution ultime et irréversible de l’affection : une inversion du shunt.
Chez Pipa, des signes d’insuffisance cardiaque congestive sont présents, et ils sont associés à une altération sévère de l’état général.
Il est recommandé à ce stade une gestion médicale en première intention, afin de résoudre l’œdème pulmonaire avant d’envisager une prise en charge chirurgicale. Dans le cas de Pipa, après 48 h de prise en charge médicale, un œdème pulmonaire aigu sévère est toujours présent.
L’absence de réponse au traitement médical associée au mauvais état clinique de l’animal motivent finalement la décision de ligature chirurgicale, malgré le pronostic défavorable.
Pronostic
Dans l’étude de Saunders 5, les signes cliniques traduisant une insuffisance cardiaque congestive sévère (léthargie, toux, dyspnée…) constituent un facteur pronostique négatif sur la durée de survie. Une dilatation atriale gauche marquée (Ag/Ao > 1,5), un âge avancé (> 2 ans) et un poids élevé (> 23 kg) augmentent significativement le risque de mortalité peropératoire.
Dans l’étude de bureau 6, l’augmentation de l’âge et du poids de l’animal sont significativement liés à une diminution du temps de survie. Ceci pourrait être corrélé à la sévérité des signes d’insuffisance cardiaque congestive, ces derniers étant plus marqués avec l’âge. Enfin, une atteinte sévère de l’état général de l’animal provoquant un état de léthargie est significativement corrélée à une diminution du temps de survie.
Au bilan, les facteurs pronostiques liés à la sévérité de l’insuffisance cardiaque et des symptômes sont retrouvés dans le cas de Pipa, ce qui confirme le pronostic défavorable.
L’âge de Pipa n’entre pas dans les facteurs de risque précédemment établis, ces derniers incluant des animaux d’âge généralement plus avancé, en lien avec un remodelage cardiaque et des signes de décompensation plus sévères.
Peu de données de la littérature traitent de la prise en charge d’une persistance du canal artériel à un âge inférieur à 3-4 mois, ce qui confère au cas de Pipa un caractère original avec une prise en charge inédite.
Au vu du contexte et des résultats des études précédentes, les incidents peropératoires semblaient prévisibles dans le cas de Pipa, et ces derniers ont été correctement pris en charge. Le suivi durant les premiers jours après la chirurgie a montré une normalisation rapide de la taille des cavités cardiaques et de la fonction cardiaque, ainsi qu’une rémission clinique des symptômes. Le pronostic de survie, défavorable initialement, est devenu excellent, avec obtention d’une guérison complète après traitement chirurgical.
La prise en charge en urgence de la persistance du canal artériel est peu documentée chez les chiots de moins de 3 mois. Une décompensation précoce de l’affection donnant lieu à une insuffisance cardiaque congestive assombrit fortement le pronostic de survie à court terme. La prise en charge chirurgicale est ainsi controversée à ce stade de l’affection.
Le cas de Pipa illustre néanmoins un exemple de guérison complète d’une persistance du canal artériel décompensée grâce à une gestion chirurgicale, malgré les multiples contre-indications.
Bibliographie
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