Thromboembolie aortique
Complications ischémiques
- Nous décrivons ici les conséquences graves d’une thromboembolie aortique chez un chat de 10 ans.
Auteurs : Drs. M. Salas et E. Bomassi 12-09-2018
Centre Hospitalier Vétérinaire des Cordeliers, 29-35 avenue du Maréchal Joffre, 77100 Meaux.
E-mail : ebomassi@chvcordeliers.com
Cet article a été publié dans : L’Essentiel (2018) 497 : p 20-26
Article réalisé dans le cadre de l’apprentissage pratique du programme de l’Internship des CHV, avec le partenariat de Boehringer Ingelheim, Zoetis, Hill’s et Santé Vet.
Thromboembolie aortique
Complications ischémiques
Un chat européen mâle castré âgé de 10 ans et pesant 5,5 kg est présenté en consultation d’urgence pour une paralysie suraiguë des membres postérieurs. Aucun antécédent pathologique n’est rapporté.
Les complications ont été majeures mais un traitement palliatif a été mis en place devant le refus catégorique des propriétaires d’euthanasier leur animal. Ce cas nous permet de rappeler les grandes lignes de la prise en charge de cette affection.
Examen clinique
À l’inspection, des vocalises sont notées et le chat montre une paralysie non ambulatoire des membres postérieurs ainsi qu’une tachypnée. Les muqueuses sont pâles et le TRC non évaluable. Les membres postérieurs sont douloureux et froids, avec une cyanose des griffes (Fig. 1).
On note une absence bilatérale de pouls artériel fémoral ainsi qu’une hypothermie (température rectale égale à 33,8 °C). L’auscultation met en évidence une tachycardie régulière (200 bpm) et une augmentation des bruits respiratoires.
Dans le contexte anamnestique et clinique, une thromboembolie aortique (TEA) secondaire à une myocardiopathie est suspectée en premier lieu. En raison de la tachypnée, une insuffisance cardiaque congestive associée ne peut être exclue.
Examens complémentaires
Une radiographie thoracique (Fig. 2) est réalisée et montre une cardiomégalie (score vertébral cardiaque égal à 9,5 ; valeurs usuelles (VU) : 6,8 – 8,1 (Buchanan, 2000)), une congestion veineuse pulmonaire sans signes de décompensation (œdème pulmonaire ou épanchement pleural).
L’examen biochimique sanguin (TAB.) montre une créatine kinase indosable et une glycémie différentielle (mesuré au glucomètre) égale à 0,14 g/l entre le sang veineux jugulaire (0,91 g/l) et celui ponctionné au postérieur gauche (0,77 g/l).
L’échocardiographie (Fig. 3) montre une hypertrophie excentrique asymétrique du ventricule gauche (Vg en diastole : 17,6 mm ; VU < 15,9 mm ± 2,3 (Chetboul et al., 2006)) à prédominance pariétale postérieure (7,7 mm ; VU : 4,3 mm ± 0,7 (Chetboul et al., 2006)) ainsi qu’une dilatation atriale gauche majeure avec présence de volutes préthrombotiques dans l’auricule gauche (rapport atrium gauche sur aorte en télédiastole : 2,5 ; VU : 0,5- 1,2 (Chetboul et al., 2006)). Une échographie abdominale confirme la présence d’un thrombus dans l’aorte distale, en avant de la bifurcation iliaque. Le diagnostic est celui d’une myocardiopathie hypertrophique évoluée compliquée d’une TEA, sans insuffisance cardiaque congestive associée.
Traitement et suivi
L’animal est hospitalisé et reçoit le traitement suivant :
- énoxaparine (Lovenox®) : 100 UI/kg toutes les 8 heures par voie sous-cutanée (SC);
- morphine : bolus intraveineux (0,2 mg/kg) suivi d’une perfusion continue (0,2 mg/kg/heure);
- clopidogrel (Plavix 75 mg®) : ¼ de comprimé par jour per os (PO).
J + 2 : aucune évolution favorable concernant la motricité n’est observée et de multiples plaies cutanées avasculaires, probablement liées à l’ischémie, apparaissent sur les membres postérieurs. En outre, l’énoxaparine est stoppée en raison de la survenue d’une hématurie et d’une hématochézie. Une euthanasie est discutée mais refusée par le propriétaire. Une sortie d’hospitalisation est envisagée avec le traitement suivant : Plavix® 75 mg ND : ¼ de comprimé par jour PO (3,4 mg/kg/jour de clopidogrel) ; Sibélium® 5 mg ND : ½ comprimé par jour (0,45 mg/kg/jour de flunarizine) ; Contramal® ND : 4 gouttes 2 fois par jour (3,6 mg/kg/jour de tramadol) ; Libeo® 10 mg ND : ¼ de comprimé 2 fois par jour (0,45 mg/kg/jour de furosémide) en cas d’augmentation de la fréquence respiratoire (FR) au-delà de 40 mpm (FR prise de manière biquotidienne par le propriétaire).
J + 11 : des complications graves de nécrose (gangrène gazeuse) sont identifiées sur le membre postérieur gauche (Fig. 4a). L’euthanasie est toujours refusée par les propriétaires et une amputation est réalisée dans un autre centre vétérinaire. L’intervention chirurgicale se déroule sans complication majeure.
J + 105 : une gangrène sèche concernant l’extrémité du membre postérieur droit est notée (Fig. 4b). L’état général de l’animal étant bon (prise de poids, absence toujours d’insuffisance cardiaque congestive ou d’insuffisance rénale), il est décidé de réaliser une amputation du membre postérieur droit à hauteur du tibia afin de mettre en place une orthèse. L’intervention se déroule sans complication majeure.
Au moment de la rédaction de ce cas (J + 137), l’animal est toujours en vie. Sa myocardiopathie est stable et son état général bon. Il se déplace à l’aide de ses membres antérieurs et est en attente de son orthèse. Son traitement inclut du clopidogrel, un inhibiteur de conversion de l’angiotensine (bénazépril) et du furosémide en cas d’augmentation de la FR.
Discussion
Ce cas illustre un épisode de TEA secondaire à une myocardiopathie hypertrophique chez un chat mâle castré de 10 ans. Suite à cet épisode, des lésions avasculaires ont successivement affecté les deux membres postérieurs et ont conduit, devant un refus catégorique d’euthanasie, à une double amputation.
Un diagnostic clinique de TEA
Bien que la présence d’au moins un thrombus aortique ait été confirmée en échographie, le diagnostic de TEA a été avant tout clinique. En effet, la présence des 5 « P » (pain pour douleur, pallor pour pâleur des coussinets voire cyanose, pulselessness pour déficit du pouls artériel, poikilothermy pour froideur des extrémités et paralysis) chez un chat atteint d’une paralysie aiguë des membres postérieurs doit évoquer en premier lieu une TEA (Luis Fuentes, 2012). En cas de doute, un dosage plasmatique de la créatine kinase peut être réalisé. En outre, selon une étude réalisée chez des chats présentés pour paralysie aiguë (Klainbart et al., 2014), une glycémie différentielle > 0,3 g/l entre le sang veineux (jugulaire ou d’un membre non atteint) et celui ponctionné sur le ou les membre(s) atteint(s) permettrait de confirmer une TEA avec une bonne sensibilité et spécificité (ie, 100 et 90 %, respectivement). Cette différence de glycémie n’a pas été identifiée dans le présent cas.
Une origine cardiaque probable
Une TEA cardiogénique a été privilégiée en raison de la présence d’une cardiopathie évoluée (myocardiopathie hypertrophique). En effet, les chats présentant une dilatation atriale gauche et des volutes préthrombotiques dans l’auricule gauche sont à risque de TEA (Fuentes, 2012).
Des facteurs pronostiques péjoratifs
La TEA touche 1 chat sur 5 atteint de myocardiopathie, majoritairement des chats mâles âgés. De manière intéressante, seul 1 chat sur 10 a un antécédent de myocardiopathie connu. Les taux de survie associés à une TEA sont médiocres et se situeraient entre 33 % et 39 % selon les études (Schoeman, 1999 ; Moore et al., 2000).
En outre, il existe des facteurs pronostiques péjoratifs (Laste et Harpster, 1995 ; Moore et al., 2000 ; Smith et al., 2003 ; Schoeman, 1999 ; Payne et al., 2010), comme identifiés dans le présent cas : l’hypothermie (un chat sur deux ne survivra pas à l’hospitalisation pour une température rectale < 37,2 °C) et l’atteinte de plusieurs membres (diminution des chances de survie de 50 % par rapport aux chats chez lesquels un seul membre est atteint).
D’autres facteurs pronostiques péjoratifs incluent la présence d’une insuffisance cardiaque congestive ou d’une insuffisance rénale.
Une thérapeutique classique
Bien que non consensuelle, la thérapeutique instaurée a été celle classiquement rapportée dans la littérature (Hogan, 2017) et a été composée d’un anticoagulant (héparine), d’un antiagrégant plaquettaire (clopidogrel), d’une analgésie et d’un vasodilatateur artériel (flunarazine). L’énoxaparine (héparine de bas poids moléculaire, HBPM) a été choisie car elle présente une meilleure biodisponibilité et un temps de demi-vie plasmatique plus long par rapport aux héparines non fractionnées (héparine sodique), comme démontré chez l´homme mais pas chez le chat. Le désavantage des HBPM chez les carnivores domestiques est que son activité anticoagulante ne peut pas être évaluée en raison de l’impossibilité de doser l’activité du facteur Xa. Comme dans le présent cas, la survenue de saignements digestif et urinaire a entraîné l’interruption du traitement anticoagulant, sans qu’aucun lien de cause à effet n’ait pu être clairement établi. Le clopidogrel a été privilégié en accord avec une étude prospective et randomisée récente chez le chat (Hogan et al., 2015), ayant démontré la supériorité de cet antiagrégant plaquettaire par rapport à l’aspirine concernant la survie des chats ayant subi un épisode de TEA (médiane de survie : 51 versus 350 jours pour aspirine et clopidogrel, respectivement) et le risque de récidive (taux de récidive : 75 % versus 49 % pour l´aspirine et le clopidogrel, respectivement). Un thrombolytique comme le TPA (tissue plasminogen activator) aurait pu être utilisé comme suggéré dans une étude chez 11 chats (Welsh et al., en 2010).
Complications liées à l´hypoperfusion
Dans le présent cas, le thrombus artériel s’est logé dans l’aorte distale, interrompant le flux sanguin artériel dans cette artère et ses ramifications, créant ainsi une neuromyopathie ischémique postérieure bilatérale et expliquant la présentation clinique des 5P. Malgré une prise en charge rapide, aucune amélioration clinique n’a été observée chez cet animal dans les 48 premières heures alors que certains chats atteints de TEA peuvent présenter une récupération rapide mais aussi plus tardive (jusqu’à 2 à 3 semaines). Des complications graves liées à la reperfusion sont possibles et incluent une hyperkaliémie, des désordres acido-basiques et une azotémie. Dans le présent cas, une gangrène a successivement affecté les 2 membres et a conduit à une double amputation, particulièrement en raison du risque septique lors de gangrène gazeuse. Ce cas illustre donc la prise en charge d’une TEA féline. Bien que la réalisation d’une double amputation puisse être discutable sur le plan éthique (particulièrement en raison du pronostic sombre d’une TEA cardiogénique), ce cas clinique montre qu’il est possible de gérer des complications ischémiques graves face à un refus catégorique d’euthanasie.
Bibliographie
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