Triple corpectomie latérale partielle thoraco-lombaire

  • Nous présentons ici le cas d’un berger allemand de 5 ans souffrant de difficultés locomotrices marquées. Nous décrivons les étapes du diagnostic par imagerie, puis présentons le traitement chirurgical sélectionné, qui a permis une importante régression des symptômes de ce patient.

Auteurs : Drs. É. Attia, S. Libermann et V. Mayousse 01-11-2013
Centre Hospitalier Vétérinaire des Cordeliers, 29-35 avenue du Maréchal Joffre, 77100 Meaux.
E-mail : slibermann@chvcordeliers.com
Cet article a été publié dans : L’Essentiel (2019) : p 169-171


Article réalisé dans le cadre de l’apprentissage pratique du programme de l’Internship des CHV, avec le partenariat de Boehringer Ingelheim, Zoetis, Hill’s, SantéVet et Vetoquinol.


Triple corpectomie latérale partielle thoraco-lombaire

Traitement chirurgical des hernies discales chroniques

Le patient est un berger allemand mâle entier de 5 ans. Il est présenté pour des difficultés locomotrices importantes associées à de la douleur évoluant depuis 48 heures. Dès l’apparition des signes cliniques, un traitement médical est instauré (méloxicam 0,1 mg/kg/j et gabapentine 10 mg/kg trois fois par jour (TID)) par son vétérinaire traitant. Malgré cela, aucune amélioration de l’état clinique n’est observée.

Deux ans auparavant, dans le cadre d’une exploration d’une boiterie des membres postérieurs, des protrusions discales lombaires ont été mises en évidence par un examen tomodensitométrique rachidien. À la suite de cette découverte le chien a présenté des épisodes ponctuels de douleur dorsale qui ont été résolus par des traitement médicaux à base de méloxicam, gabapentine et tramadol.

Ce chien a également des antécédents de boiterie chronique liée à une arthrose des coudes.

Examen clinique général et neurologique

En consultation, le patient est en bon état général, son examen clinique est sans anomalie.

À l’examen à distance, l’animal présente un niveau de vigilance normal, une ataxie proprioceptive postérieure associée à une paraparésie.
À l’examen rapproché, une douleur est mise en évidence en région thoraco-lombaire lors de la palpation du rachis.

Les réactions posturales sont diminuées sur le membre pelvien droit, et absentes à gauche. Les réflexes spinaux sur les membres pelviens sont normaux.

Ces éléments sont en faveur d’une myélopathie du segment T3-L3 chronique douloureuse, avec une dégradation récente, plutôt latéralisée à gauche, dans un contexte de protrusions discales précédemment identifiées.

Diagnostic différentiel

Une évolution des hernies discales protrusives constitue l’hypothèse principale.
Une myélopathie dégénérative, une origine inflammatoire ou néoplasique ne peuvent cependant pas être exclues.

Examens complémentaires

Un examen tomodensitométrique du rachis étendu de la deuxième vertèbre thoracique au sacrum est réalisé, complété par un myéloscanner. En région T12-T13 une compression médullaire modérée latéralisée à droite induisant une déviation du ruban médullaire est observée (Fig. 1A). Celle-ci est négligée. Les trois espaces suivants, de T13 à L2, présentent des compressions importantes de la moelle épinière latéralisées à droite (Fig. 1B et 1C) sauf l’espace L2-L3 qui présente une compression particulièrement marquée et latéralisée à gauche (Fig. 4). Cette dernière lésion est majoritaire : elle obstrue plus de 60 % du canal médullaire (Fig. 1D – Fig. 2).

Fig. 1A—D – Examen tomodensitométrique du rachis, coupe transversale en région (A) T12-T13, (B) T13 – L1, (C) L1-L2, (D) L2-L3

Fig. 2 – Examen tomodensitométrique du rachis, coupe sagittale en région T13-L3. Visualisation du produit de contraste injecté autour de la moelle épinière (myélographie préopératoire). La flèche indique la hernie la plus sévère.

 

Une ponction de liquide cérébrospinal par voie basse est effectuée juste avant l’injection sous arachnoïdienne en vue d’un examen cytologique et d’une mesure de protéinorachie. Les résultats montrent une discrète protéinorachie (protéines : 0,5 g/l) et une pléïocytose neutrophilique (polymorphonucléaires neutrophiles présentés à 84 % soit 9 cellules/µl) compatible avec un phénomène inflammatoire. Il est à noter que ces observations peuvent également être retrouvées en cas de compression chronique de la moelle épinière.Le chien présente donc des hernies discales protrusives thoraco-lombaire multiples.

Traitement

Prise en charge médicale

Le traitement médical est adapté et poursuivi : méloxicam 0,1 mg/kg/j, gabapentine 10 mg/kg TID, tramadol 2 mg/kg TID et du repos strict est recommandé pendant 1 mois. En l’absence d’amélioration de l’animal voire en cas de dégradation la prise en charge chirurgicale est recommandée aux propriétaires.

Après 8 jours de traitement, le chien est de nouveau présenté en consultation pour une dégradation de son état clinique. Il y a une diminution de la douleur mais une persistance des déficits neurologiques. Une décompression chirurgicale de 3 hernies discales est alors envisagée.

Intervention chirurgicale

Une prémédication à base de chlorhydrate de morphine à 0,2 mg/kg et de midazolam à 0,2 mg/kg est effectuée par voie intraveineuse, puis l’anesthésie est induite après injection intra-veineuse de propofol à 4 mg/kg (dose d’indication, administrée en titration). L’anesthésie est maintenue par un relais gazeux d’Isofluorane dans l’oxygène pur.
L’animal est fixé sur la table de chirurgie en décubitus latéral droit pour permettre un abord gauche.

Une incision cutanée oblique est faite depuis la face latérale du processus épineux de T12 jusqu’au bord ventrale de l’aile de l’ilium s’arrêtant en regard de L5. Les fascias thoraco-lombaires superficiels et profonds sont incisés pour visualiser les muscles épaxiaux (muscles : multifides, épineux, longissimes et ilio-costal). Les tendons des muscles épaxiaux sont sectionnés à leurs insertions sur les processus accessoires permettant la visualisation latérale des anneaux fibreux ainsi que les portions latérales des corps vertébraux adjacents jusqu’aux nerf spinaux. Les vaisseaux spinaux associés sont délicatement réclinés crânialement.

Le forage des fenêtres osseuses entre T13-L1, L1-L2 et L2-L3 peut débuter. Un moteur pneumatique à grande vitesse est placé perpendiculairement au grand axe vertébral. Le fraisage s’effectue dans les vertèbres crâniales et caudales des disques intervertébraux lésés jusqu’à atteindre le ligament longitudinal dorsal, sans ouvrir le canal vertébral (Fig. 3 et Fig. 4).
Le site de corpectomie est continuellement irrigué à l’aide d’une solution saline stérile (Versol chlorure de sodium 0,9 %) pour limiter l’échauffement, et les débris osseux sont aspirés.

Fig. 3 – Reconstruction de l’image 3D via l’examen tomodensitométrique de la colonne du patient en postopératoire. Une fente latérale a été percée sous le matériel prolabé à travers le disque intervertébral et l’épiphyse vertébrale de deux corps vertébraux adjacents. Le canal vertébral n’est pas pénétré.

Un microscope chirurgical est utilisé en fin de forage afin de confirmer l’ablation complète de la portion dorsale du corps, jusqu’au ligament longitudinal dorsal. Celui-ci doit avoir repris une position plus ventrale témoignant d’une décompression efficace. Le site chirurgical est de nouveau irrigué puis aspiré précautionneusement.

Fig. 4 AC- Examen tomodensitométrique, coupe transversale du rachis en région (A) T13-L1, (B) L1-L2 et (C) L2-L3.

Les muscles sont positionnés en regard de chaque fenêtre osseuse, puis le fascia thoraco-lombaire et la peau sont refermés classiquement.
Du produit de contraste iodé étant encore présent dans l’espace sous arachnoïdien, l’examen tomodensitométrique post-opératoire montre une décompression satisfaisante en L2-L3 (Fig. 4C – Fig. 5) et une résection suffisante des compressions controlatérales sur les espaces T13-L1 (Fig. 4A) et L1-L2 (Fig. 4B).

Fig. 5 – Examen tomodensitométrique du rachis en région T13-L3, Vue sagittale postopératoire, les sites de décompression médullaire sont indiqués par les flèches vertes.

Suivi

Après la chirurgie, le patient est gardé 24 heures en hospitalisation puis il est rendu à ses propriétaires. Le chien doit rester au repos strict pendant 2 mois et poursuivre son traitement médical. Des soins pour animaux paralysés (massages et divers exercices de mobilisations des membres pour éviter les ankyloses) sont expliqués et une rééducation fonctionnelle est conseillée (physiothérapie par exemple).

Les contrôles à 5 jours et à 10 jours post-opératoires montrent une amélioration significative de l’état clinique de l’animal :
il n’a plus de douleur et présente une moindre ataxie postérieure.
Un mois après l’intervention le chien ne présente plus de déficit neurologique et a une démarche normale.

Après 4 mois, le chien se porte toujours bien et ne présente pas de signe de récidive.

Discussion

1. Approche chirurgicale

Le traitement chirurgical des hernies discales thoraco-lombaires a pour but de décomprimer la moelle épinière ou les racines nerveuses au niveau des espaces intervertébraux touchés. Il y a deux éléments principaux qui vont influencer le choix de la technique chirurgicale: la localisation du matériel hernié (TAB.) et le caractère aigu ou chronique de la lésion 1.

Dans notre cas clinique le chien est atteint de hernies discales chroniques (HDC) situées ventro-latéralement à la colonne thoraco-lombaire. Pour cette localisation il existe trois chirurgies 1 dites décompressives qui sont l’hémilaminectomie,lamini-hémilaminectomie(pédiculotomie partielle ou totale – Foraminotomie) et la corpectomie latérale 2.

L’hémilaminectomie est considérée comme l’approche standard des hernies discales thoraco-lombaires. Cependant, dans le cadre des HDC, une corpectomie latérale partielle peut être réalisée. Cette technique de référence, initialement développée pour traiter les HDC 3, décrit un fraisage partie 1 des corps vertébraux pour accéder au canal vertébral ventral, de part et d’autre de la portion dorsale du disque. Une fenestration des disques intervertébraux opérés ou adjacents peut y être associée comme mesure prophylactique 4.

Lors de HDC multiples, comme dans le cas de notre patient, il n’est pas aisé de déterminer avec certitude le site responsable des lésions neurologiques. C’est pourquoi, il est parfois nécessaire d’opérer plus d’un site lors de la chirurgie 2, toutefois ce nombre est limité à un abord unilatéral de cinq espaces intervertébraux successifs 5.

Chez le berger allemand les HDC caractéristiques sont adhérentes à la dure-mère ou forment des calcifications 2.
Cela engendre davantage de manipulations de la moelle épinière en peropératoire, pouvant provoquer des dommages nerveux plus ou moins réversibles et allonger le temps de récupération postopératoire 6. Ces adhérences ne peuvent être extraites par une voie latérale classique. C’est donc la chronicité qui impose de réaliser une corpectomie latérale partielle.

Le principe de notre chirurgie est de former, dans les corps vertébraux adjacents, une fente osseuse ventralement à la moelle épinière permettant ainsi de récupérer le matériel hernié. L’ablation du corps vertébral permet l’ablation globale du disque.

L’originalité de notre cas réside dans le fait de ne jamais pénétrer le canal vertébral. L’avantage principal c’est donc d’assurer une décompression adéquate sans manipulation de la moelle épinière minimisant les lésions iatrogéniques au cours de la chirurgie 3.

À l’inverse, les inconvénients majeurs de cette technique chirurgicale sont respectivement la courbe d’apprentissage qui est plus longue et le fait de travailler à l’aveugle.

Nous démontrons ici que par cette voie une décompression reste possible même en contro-latéral, puisqu’il est recommandé de fraiser sur 60 % du canal 6.
Les analyses biomécaniques soulignent qu’une instabilité de la colonne vertébrale reste une complication possible, notamment si la corpectomie est associée à une hémilaminectomie 2,3,4. Toutefois d’après certaines études rétrospectives, comme dans notre cas clinique, ce risque reste relativement faible même lors de corpectomies latérales successives 6.

L’examen tomodensitométrique que nous avons effectué directement après la chirurgie apparaît nécessaire pour valider la conformité de la fenêtre osseuse (facteur essentiel pour assurer une bonne stabilité) et de s’assurer que le matériel hernié est correctement excisé. Aussi, certaines récidives s’expliquent par une excision incomplète du matériel hernié 8 ou par la formation d’un granulome compressif 1.

2. Pronostic

Parmi les facteurs pronostic de récupération neurologique postopératoire (récupération fonctionnelle et incontinence urinaire/fécale) 4, il semble que les facteurs déterminants soient : le grade neurologique pré-opératoire (score de Frankel modifié) 7, le caractère aigu ou chronique des lésions et le type de chirurgie 8.

Notre cas est conforme à la littérature, le chien présentait une faible atteinte neurologique (ambulatoire avec une parésie postérieure) et il a récupéré relativement rapidement après la chirurgie, sans jamais présenter d’incontinence. Dans les cas chroniques on s’attend à ce que la chirurgie décompressive ne permette pas une récupération fonctionnelle immédiate, contrairement à une lésion aiguë 1. Il semblerait que la corpectomie latérale permettrait aux animaux de récupérer plus rapidement que ceux traités avec d’autres techniques chirurgicales (fenestration par hémilaminectomie) 3.

Conclusion

Ce cas illustre la prise en charge chirurgicale de hernies discales thoraco-lombaires chroniques successives chez un chien. Bien qu’il existe divers techniques chirurgicales, ce cas clinique montre qu’il est possible d’intervenir efficacement sur des hernies chroniques sans ouvrir le canal vertébral, et que cela semble offrir un bon pronostic de récupération fonctionnelle.

Bibliographie

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