Lésions oculaires consécutives à une griffure de chat
Une iridocèle associée à une déchirure de la capsule cristallinienne
- La lacération cornéenne associée à une déchirure de la capsule antérieure du cristallin est fréquemment rencontrée chez nos animaux de compagnie après un traumatisme, notamment à la suite d’un coup de griffe par un chat.
Auteurs : Drs. P. Durieux et J. Taillandier 07-04-2018
Centre Hospitalier Vétérinaire des Cordeliers, 29-35 avenue du Maréchal Joffre, 77100 Meaux.
E-mail : pdurieux@chvcordeliers.com
Cet article a été publié dans : L’Essentiel (2018) 482 : p 27-30
L’uvéite phacoclastique résultante peut être sévère. De nombreuses complications y sont associées liées à une activation importante du système immunitaire, par rupture de la tolérance immune, à l’encontre des protéines cristalliniennes libérées lors du traumatisme. La prise en charge peut être purement médicale ou médico-chirurgicale selon l’importance des lésions
Lésions oculaires consécutives à une griffure de chat
Suite à une griffure de chat, un chiot border collie de 3 mois est présenté au service d’urgence car aux dires des propriétaires « il n’arrivait plus à ouvrir » l’œil gauche.
À son admission, l’examen clinique montre une hyperhémie conjonctivale et un important chémosis associés à une procidence de la membrane nictitante et à un écoulement séro-fibrino-hémorragique.
Un œdème cornéen est localisé en région ventrale temporale et présente en son centre une brèche cornéenne de plusieurs millimètres par où semble s’engager de l’iris.
Gestion en urgence
Le chiot est hospitalisé et sédaté (acépromazine : 30 µg/kg de Calmivet®) avec mise en place d’une collerette pour maintenir l’animal au calme et éviter toute aggravation des lésions oculaires.
En appliquant notre procédure de prise en charge des uvéites traumatiques, des antibiotiques (amoxicilline- acide clavulanique : 20 mg/kg d’Augmentin®) et des corticoïdes (dexaméthasone : 0,1 mg/kg en IV de Dexadreson®) lui sont administrés par voie générale. Localement, une goutte d’atropine 1 % collyre et de Tobrex® collyre à 10 minutes d’intervalle lui sont instillées.
Le service d’ophtalmologie est immédiatement contacté pour une prise en charge spécialisée.
Diagnostic
Une déchirure de la cornée, en temporal, parallèle au limbe sur plus d’un centimètre est présente. Cette déchirure s’accompagne d’une volumineuse iridocèle, intéressant la pupille. Un test de Seidel est effectué, il est positif et montre une dilution de la fluorescéine (préalablement instillée) par l’humeur aqueuse émanant de la plaie. L’examen au biomicroscope met en évidence une déchirure de la capsule antérieure du cristallin sur plus de 5 mm avec issue de cortex cristallinien en chambre antérieure.
Le cristallin est en place.
L’opacité des milieux et le myosis ne permettent pas un examen du segment postérieur. Une échographie haute résolution est alors réalisée pour écarter une hémorragie du vitré (Fig. 1 et 2).
Gestion chirurgicale
La présence d’un test de Seidel positif, d’une iridocèle et d’une déchirure de la capsule antérieure du cristallin sur plusieurs millimètres rendent nécessaire une prise en charge chirurgicale en urgence. La chirurgie se déroule sous microscope opératoire.
L’intervention se fera en deux étapes :
- Suture de la cornée, remise en place de l’iris et restauration de la chambre antérieure ;
- Phacoémulsification du cristallin.
Le canthus externe est incisé pour bien dégager le champ opératoire et ne pas avoir de pression sur le globe oculaire par la mise en place du blépharostat.
L’iris est délicatement libéré de ses adhérences cornéennes et remis en place. La chambre antérieure est rincée au BSS (Balance Salt Solution flacon 500 ml Alcon France) adrénaliné, ceci permettant d’obtenir une mydriase.
Une injection de gel visco-élastique (Acrivet Biovisc 1,2 % 2 ml) permet de protéger l’endothélium cornéen et de maintenir l’iris en place. La cornée est suturée par des points séparés (Ethicon Vicryl 9-0 Polyglactine 910 Johnson and Johnson International) (Fig. 3).
Une fois la chambre antérieure reconstituée et l’obtention de la mydriase, une incision au couteau de 2,8 est réalisée au limbe à midi (Fig. 4).
L’étape de la phacoémulsification du cristallin se déroulera de cette manière :
- Injection d’adrénaline diluée et de gel visco-élastique pour augmenter la mydriase ;
- Rhexis antérieur large (réalisation d’une fenêtre circulaire) incluant la déchirure traumatique de la capsule antérieure du cristallin ;
- Phacoémulsification du cristallin et aspiration du contenu cristallinien ;
- Polissage de la capsule postérieure.
Il n’est pas mis en place d’implant cristallinien. Le grand diamètre du rhexis ne permettrait pas une bonne stabilité de l’implant dans le sac cristallinien.
La cornée est suturée par deux points (Ethicon® Vicryl 9-0 Polyglactine 910 Johnson and Johnson International).
La canthus externe est reconstruit par des sutures à points séparés en deux plans (Ethicon®Vicryl 6-0 Polyglactine 910 Johnson and Johnson International).
En fin d’intervention une injection intracamérulaire de TPA (tissular plasminogen activator) est réalisée pour éliminer la fibrine présente en chambre antérieure.
Suivi
En postopératoire, il est essentiel de laisser une collerette en place durant 3 semaines. Les propriétaires doivent empêcher l’animal de se secouer la tête pour éviter les risques de décollement de rétine.
Un traitement médical est alors mis en place :
- Par voie systémique :
- Prednisone (Dermipred®) 1 mg/kg/jour per os pendant 3 semaines ;
- Amoxicilline-acide clavulanique (Clavaseptin®) 20 mg/kg per os deux fois par jour pendant 10 jours.
- Par voie locale :
- Collyre de tobramycine (Tobrex Pommade®) 5 fois par jour pendant 15 jours ;
- Collyre à base d’indométacine et de gentamicine (Indobiotic Collyre®) 3 fois par jour pendant 1 mois.
Lors du contrôle postopératoire à 5 semaines, le chiot est voyant de l’œil opéré. Il présente une microphtalmie gauche et une procidence de la membrane nictitante. La pression intraoculaire (PIO) est plus basse sur l’œil opéré (PIO = 5 mm de Hg à gauche versus 12 mm de Hg sur l’œil adelphe), traduisant une inflammation intraoculaire (Fig. 5 et 6)
Discussion
Différentes prises en charge envisageables
La prise en charge des lésions cornéennes perforantes avec atteinte de la capsule cristallinienne peut être médicale ou chirurgicale. Dans les deux cas, la prise en charge doit être la plus précoce possible pour limiter les complications graves pouvant entraîner une cécité définitive ou une perte du globe oculaire.
Selon l’étude de Davidson et al. (1991), l’élimination prophylactique du cristallin sur tous les patients était préconisée après le traumatisme pour prévenir des complications menaçant la vision. En effet, lorsque le cristallin est lésé, ses protéines sont libérées dans le milieu intraoculaire et sont ainsi exposées au système immunitaire. Une réaction inflammatoire appelée uvéite phacoclastique est alors associée à cette rupture de la paroi cristallinienne. Elle se produit 1 à 14 jours après la perforation.
Cependant, selon une étude plus récente de Paulsen et al. (2012), la prise en charge post-traumatique peut ne pas être chirurgicale.
La prise en charge des lésions cornéennes perforantes avec atteinte de la capsule cristallinienne peut être médicale si et seulement si toutes ces conditions sont respectées :
- Absence de fuite de l’humeur aqueuse par la cornée (test de Seidel négatif) ;
- Absence d’iridocèle ;
- Déchirure de la capsule antérieure cristallinienne inférieure à 1,5 mm.
La réussite de la prise en charge uniquement médicale est liée à la fermeture spontanée de la capsule antérieure du cristallin dans les 2 à 4 semaines suivant la lésion traumatique.
Pour choisir la prise en charge la plus adaptée, un examen ophtalmologique minutieux doit être réalisé. Un examen en lampe à fente est nécessaire pour évaluer l’importance de la déchirure capsulaire.
Risque d’anomalie de croissance du globe oculaire chez les chiots
Contrairement à celui de l’homme, le globe oculaire canin a une croissance continue la première année de vie de l’animal. Cette croissance est particulièrement importante les cinq premiers mois postnataux (Tuntivanich, 2007).
Des études sur les lapins, les poussins et les singes (Wilson et al., 1987 ; Lambert et al., 1996 ; Kugelberg et al., 1996 ; Ai et al., 2009) ont prouvé qu’en enlevant le cristallin chez les jeunes animaux, les yeux avaient un retard de croissance important. Plusieurs hypothèses pourraient expliquer ce phénomène :
- Une des hypothèses est que le cristallin serait une source de facteurs de croissance essentiels pour l’œil (Wilson et al., 1987). Cependant, une étude sur des souris mutantes (Zwan, 1994) a montré que l’absence congénitale du cristallin n’affecte pas la croissance du globe oculaire ;
- Une autre hypothèse est que le cristallin exerce une influence biomécanique essentielle au cours du développement oculaire. Ainsi, la modification des forces appliquées sur les fibres zonulaires et sur les corps ciliaires pourrait affecter la taille et la forme du globe (Wilson et al., 1987 ; Kugelberg, 1996). Déjà en 1964, Coulombre avait montré sur des poussins en incubation que le cristallin avait un rôle essentiel sur la croissance du globe oculaire lors de la morphogenèse. En effet, le cristallin est nécessaire pour la production et l’accumulation d’humeur vitrée. C’est cette accumulation de liquide qui génère des forces mécaniques permettant l’agrandissement du globe oculaire. Après retrait du cristallin, les études ont montré que les yeux opérés s’élargissent plus équatorialement qu’axialement (yeux oblates) ;
- Une autre possibilité est que l’allongement axial des yeux ait été retardé suite à un déficit visuel (Bradley). En effet, Whitmore (1993) a montré que la cryothérapie et l’ablation laser de la rétine périphérique chez l’œil immature du lapin ont un effet retardateur sur la croissance de l’œil ;
- Finalement, l’implication de médiateurs inflammatoires libérés lors de la chirurgie sur la croissance de l’œil n’a pas été exclue (Jameson, 1992).
Même si la cause du défaut de croissance du globe oculaire lors de chirurgie du cristallin n’est pas encore connue, toutes les études s’accordent en disant que la pression intraoculaire, l’incision cornéenne et la modification de la composition de l’humeur aqueuse n’influencent pas la longueur axiale de l’œil.
Ainsi, une intervention chirurgicale sur le globe oculaire chez les jeunes peut affecter la croissance de celui-ci. Les propriétaires doivent être informés de cette malformation avant d’envisager toute chirurgie. Dans l’étude de Paulsen (2012), les chiots traités médicalement n’ont pas montré de diminution de la taille du globe contrairement aux chiots opérés avec retrait du cristallin.
De nombreuses complications
Les complications entraînant une cécité ou une énucléation apparaissent dans 50 % des cas que l’animal ait été opéré ou non (Paulsen, 2012). Le nombre de complications augmente d’autant plus que le patient est pris en charge tardivement après le traumatisme (Paulsen, 2012).
Ces complications comprennent l’uvéite hypertensive avec évolution glaucomateuse secondaire, la séclusion pupillaire, l’endophtalmie, le décollement de la rétine, l’évolution en phtisis bulbi à terme.
En conclusion, la déchirure traumatique de la cornée associée à une rupture de la capsule du cristallin est une lésion oculaire grave devant être reconnue et prise en charge en urgence avec un traitement spécialisé adapté pour limiter les complications graves entraînant une cécité définitive ou une perte du globe oculaire.
Le pronostic sera plus favorable si la déchirure de la capsule cristallinienne est inférieure à 1,5 mm de longueur car dans ce cas aucune chirurgie du cristallin n’est préconisée.
Une chirurgie du cristallin multiplie par 3 ou 4 les risques de complications menaçant la vision ou l’intégrité du globe oculaire.
Une chirurgie systématique du cristallin n’est pas recommandée sur tous les patients, mais une exérèse intra ou extracapsulaire de celui-ci reste nécessaire lors de déchirures capsulaires importantes. Suite à cette chirurgie sur les très jeunes chiots une anomalie de développement du globe oculaire avec une procidence du corps clignotant sera souvent présente à terme et les propriétaires doivent en être informés.
Bibliographie
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